Musicien (guitariste surtout) et photographe italien installé à Berlin, Fabio Orsi parvient depuis 2006 à se faire une place au milieu de tous les cornouaillais qui gravitent autour du drone, du field recording et des compositions modernes. Après une bonne dizaine de disques posés chez des labels plus ou moins méconnus, il accède à une exposition moins confidentielle grâce à des maisons comme Preservation ou Time Released Sound. Prolifique et amateur de collaborations, il prend contact en 2011 avec l’australien Paul Gough (Pimmon) et lui fait parvenir par mail quelques fichiers.
Contrairement à son homologue italien, Pimmon compose uniquement à l’aide de son laptop. On compte parmi ses compagnons de route des gens aussi illustres qu’Oren Ambarchi, Fennesz ou Lawrence English. On retiendra donc tout particulièrement son implication sur Afternoon Tea (Ritornell en 2000), son split avec le génial ingénieur James Plotkin chez Fatcat la même année, son album de 2003 chez Mort aux Vaches et enfin son excellent Oansome Orbit de 2011 chez Room 40. Varié et résolument imprévisible, nébuleux ou anxiogène, le son de l’australien ne semble souffrir d’aucun étiquetage définitif.
Lorsqu’il reçoit les fichiers de Fabio Orsi, qui admire tout à fait légitimement son boulot de « processing digital », il se révèle circonspect. Pour lui les titres sont déjà tout à fait aboutis et donc « sortables en l’état ». Il ne sait pas par quel couche les entamer. Il définira lui même ce moment comme une période de Procrastination. Ce n’est que 18 mois après les premiers contacts que la collaboration touche enfin à sa conclusion . Maintes fois repoussée, la date de sortie est finalement posée au 15 mars. Et cela même si les versions vinyles (grande première sous ce format pour le Home Normal de Ian Hawgood) étaient déjà disponibles à la mi-février chez certains mailorders britanniques bien connus.
Opus moelleux et magnétique, Procrastination érige une chambre avec vue sur le monde. Entre l’auditeur et le tumulte généralisé qui anime notre époque. Pour ceux qui savent que demain n’est pas si loin, le stress et l’angoisse sont des maladies chroniques incurables. L’album ici présenté ne fait pas que suspendre le temps durant 50 minutes. Il en re-définie les conséquences et désintègre les enjeux qui lui sont associés. Il apporte l’envie de ne rien faire. Et il le fait très bien.
Tout ce qui était connecté dans le dernier (et excellent) album de Tobias Hellqvist est ici morcelé au sein d’une aube nouvelle. Le temps ne semble avoir plus d’emprise sur rien, tant et tellement que le moindre de ses fragments devient palpable. Hibernation béate, somnolence attentive. La collision entre ces deux états ennivrent jusqu’à en avaler le goulot. Enfin fermons le livre pour célébrer la conscience passive 2.0.
Il est impossible d’imaginer ce qu’étaient les titres de Fabio Orsi avant que Pimmon ne les retouche. Ni prétendre connaître l’origine incontrôlée des cordes ici entre-mêlées. Avec ses méthodes de processing et tout ce que la M.A.O permet, Pimmon étire, modifie, déplace les vagues avec grand renfort de fluides synthétiques. Il joue avec les textures comme autant de surfaces, liquéfie et brumise la strate tel l’alchimiste devant sa mélasse.
Son intervention se fait plus évidente au gré des titres. Il pose sans fracas glissières et calques.
Se mélangent alors souvenirs fragmentés où la torpeur est glorifiée. Sur les sables de l’ouest australien, on sirotera de jeunes vins méditérannéens pour comater. Contempler les chiens de mer. S’accrocher à leur bride, s’abreuver d’écume et abandonner le fiel. Se rêver en apatride séparé de l’amertume. Avant d’accéder au ciel.
Vivre au ralenti pour profiter de tout. Avoir le temps de ne rien faire. Jeter à la mer costumes et armures. Moisir pour l’éternité avec désinvolture, faire enfin du temps autre chose qu’une sinécure.
Comparable aux sensations que provoquent le meilleur du post-rock chiant pour certains. Joyau ambient propice au retour sur soi pour d’autres, Procrastination est un excellent album et un compagnon idéal. Et pas seulement pour ceux qui souhaitent ne rien foutre en cette veille de week-end pascal.