Subtext. Roly Porter, Emptyset. Tu commences à connaitre le dossier. Le label de Paul Jebanasam (lui même auteur du sompteux diamant noir Rites l’année dernière) ne sort pas plus de deux ou trois disques par an. Sans faire le moindre bruit, mais avec le soutien inconditionnel des plus gros mailorders indépendants mondiaux, chaque édition limitée se voit rapidement affublée de la mention sold out. Le nouvel entrant dans la famille reserrée se nomme Eric Holm. Il est américain mais s’est installé à Londres, et n’a visiblement jamais sorti le moindre disque. Jusqu’ici tout va bien, c’est maintenant, lecteur et auditeur potentiel, qu’il faut t’accrocher.
Pendant que tu t’évertues à capturer sur Instagram le menu « middle of the week » de ta COGIP bien aimée (entre deux selfies illustrant à merveille ton désoeuvrement bureaunier), il existe des cerveaux humains dont la lubie du moment est d’aller capter des sons (à l’aide d’un microphone hors de prix) sur des poteaux télégraphiques (ou des lignes à haute tension) dans une zone militaire située sur une île norvégienne. Plus inquiétant encore, il n’a même pas souhaité associer à son épopée sauvage une mission divine d’anihilation de la génération bolchévique montante. L’expérience est avant tout sonore, philosophique et artistique. N’est pas Anders Behring Breivik qui veut, tu le sais, le monde est imparfait.
En six titres, l’américain parvient à créer des équilibres borderline impressionnants en jonglant avec une dimension aléatoire présumée indomptable. Non content d’être déjà un hymne dantesque au subwoofer, Andøya dégage des mécanismes effervescents, des gargarismes abyssaux et des frappes semblables à des coups d’enclume sur l’encéphale. C’est résolument downtempo, et pourtant, le sentiment d’être face à un objet techno demeure omniprésent.
Au niveau des textures, c’est juste du jamais vu. Même s’il y a fort à parier que ceux qui se caressent habituellement sur du drone non mixé et enregistré sur cassette n’y verront rien de plus qu’une énième captation d’un radiateur qui fuit, lecteur, nous te savons au dessus de cette mêlée. Tu sais que le format vinyle est particulièrement approprié et chaleureux pour faire ressortir toutes les nuances de cette production titanesque qui n’est rien d’autre qu’une boucherie sans nom. Préviens quand même tes voisins que tu racles les entrailles et le magma de la terre, parce que ça risque de sonner.
Si les aventures de Thomas Köner ne te sont pas inconnues mais que l’absence de « beat » te procure toujours un manque, tu peux déjà compter cet album comme un de tes futurs frères de son. Ces oscillations entre le vide et la plénitude, la perte de repères entre ce qui semble venir d’en dessous et d’au dessus, cette place laissée à l’interférence et aux anomalies sans sombrer dans le bordel sous couvert de pseudo-concept abscons. C’est ludique, brillamment sombre et ça a le mérite de ne pas cacher son nom. Andøya mixe la croute terrestre et les signaux perdus dans l’air pour en faire des calissons.
Andøya est un album qui se vit plus qu’il ne se décrit. Je sais, c’est une belle phrase de blogueur qui n’en est plus à sa première escroquerie. Ne perds malgré tout pas des yeux qu’il est ici question d’une des tueries de l’année, et qu’elle est éditée dans un nombre bien trop limité.