Le duo bristolien Emptyset, composé de Paul Purgas et de James Ginzburg, n’en fint plus de déchaîner les avalanches de promesses et de superlatifs, et ce depuis ses débuts il y a un peu plus de cinq ans. En premier lieu supportés par les amateurs de techno aussi minimaliste que radicale, ils ont vu le spectre de leurs suiveurs s’engaillardir quand d’autres influences plus « rythmic noise » et « bass music » sont apparues. On les sait très proches de gens (diamétralement opposés) comme Roly Porter ou Chris Liebing et qu’on le veuille ou non, il est finalement assez surprenant, même si c’est très convenu aujourd’hui de ne pas s’en émouvoir, de les voir débarquer chez Raster-Noton. Le format court et très bien nommé Collapsed, sorti l’année dernière, ne laissait que peu de mystères sur ce qu’on pouvait attendre des deux gaziers. Et qu’on se le dise, l’oeuvre du jour est autrement plus subtile qu’une énième course sur les sentiers de la radicalité.
Dégager une force de frappe comparable à celle d’un Byetone tout en demeurant quasiment « beatless ». Jouer les chirurgiens du cut et de la fracture sans résonner présomptueux ou trop froidement violent (au sens très en vogue « cryogénique » du terme). Voilà le pari risqué mais très réussi par les deux britanniques. Avec aucune (ou presque) bassline métronomique à laquelle se raccrocher, ils créent ici un album terriblement bien construit et équlibré. Frontal, alliant la rigueur inhérente à toute musique répétitive et la complexité des réformateurs du pur et dur 4X4, Recur est surtout un disque dépourvu de la moindre concession.
Cet album se révèlera sans doute encore plus impressionnant chez ceux qui comme moi, ont déserté depuis déjà quelques temps les contrées purement techno ou « power noise indus ». Sans être une bête et méchante synthèse des deux, Recur revêt ses apparats de grand disque dans sa capacité à forger des alliages « harsh » et à la fois extrêmement soignés sans tomber dans l’écueil classique du tout compressé. De confondre la simpliste froideur avec la troublante pureté. Avec une maîtrise ahurissante et une bonne dose de discernement, chaque effusion, chaque secousse ou chaque blast, n’a pour autre vocation que de tracer des saignées dans des silences assommants.
On ne peut pas saluer la construction de l’album sur le fond sans revenir sur ces titres courts aux formes complexes à envisager individuellement. C’est quand même tout un art, et toute une démarche, que d’ériger des motifs extrêmement élaborés pour peu à peu les boursouffler jusqu’à l’implosion. Sans nihilisme contrefait (même si c’est définitivement dans l’air du temps) ou (im)posture, Emptyset envisage son art aussi bien dans l’avènement de l’architecture que dans son annihilation. Voilà qui a sans doute déjà voulu être fait, mais probablement pas aussi bien.
Citons forcément l’excellent Fragment pour illustrer le propos cus-cité. Puis le très intelligemment placé Absence, effectuant une coupure effervescente et ambient bienvenue avant le progressif recours à des sillons tout aussi complexes et abrasifs, mais nettement plus pragmatiques. Déboulent alors enfin les trois derniers titres autrement plus « beatés » et voraces dans leurs intentions. Je ne vais pas dissimuler vainement ma grande préférence pour Limit, même si Recur et Instant m’ont aussi donné l’envie de pourfendre à mains nues les mâchoires carnassières de la matrice.
Pour surtout ne pas canaliser ce genre de dérives certes un peu viriles, l’idéal est d’écouter Recur en boucle à un volume à s’en faire péter les tympans. Voici un album qui accompagnera bien plus d’un hiver et bon nombre de cris primaires. A n’en pas douter une des gifles de cette année.