Surtout connu pour ses installations dans des musées à travers le monde, le percussionniste Eli Keszler n’en est pas moins un instrumentiste de plus en plus recherché dans les sphères qui juxtaposent expérimentations et sonorités à la culture plus « club ». On citera parmi ses collaborations récentes les noms prestigieux d’Oren Ambarchi, Rashad Becker et Helm. Si peu s’en souviennent, le newyorkais avait posé Cold Pin et Catching Net en 2011 et 2012 sur la maison PAN de Bill Kouligas, bien avant qu’elle ne soit touchée par une indiscutable hype. L’américain revient en cette fin d’année avec Last Signs of Speed, publié par un nouveau label de Hong-Kong : Empty Editions.
Les albums de musique expérimentale composés par des drummers ne sont pas légions. Et pourtant, l’école italienne, représentée par des gens comme Andrea Belfi ou Nicola Ratti, semblait avoir déjà témoigné de l’essentiel. Sans proposer quelque chose de concrètement révolutionnaire, l’américain apporte une certaine forme de renouveau dans un sérail qui oublie souvent que l’expérimentation est autrement plus apte à fédérer quand elle demeure ludique et spontanée.
Dès les premières écoutes, le constat est sans appel. L’habitué des installations ambitieuses sait exploiter un soundsystem et investir l’espace sonore. Les partis pris d’enregistrements et les field recordings sont tellement limpides qu’on déguste la savoureuse impression d’avoir le musicien à une troblante proximité durant l’écoute.
Autre fait, un drummer de formation, au talent tel que celui-ci, est capable de caler instinctivement une boucle rythmique terrifiante quand un inconditionnel des softwares va passer des heures à polir une snare ou un over clap. Avec malice et skills impressionnantes, Eli Keszler maintient le trouble entre les sources purement acoustiques et son travail de synthèse. A aucun moment, on ne doute néanmoins de l’emprunte organique et charnelle posée sur le disque. J’en veux pour preuve l’artwork, qui semble à mon avis représenter une empreinte digitale mutante dans son enchevêtrement de racines boisées.
Certains pourront critiquer autant de minutie rythmique qui donne à l’ensemble une teinte sévèrement chirurgical. Le musicien leur répondrait sûrement qu’il a envisagé avant tout chaque instrument comme un élément percussif (même le piano) pour alimenter la masse grouillante. Pou aérer cet état de fait, sur des titres comme The Immense Endless Belt Of Faces ou The Next Day, In The Afternoon, il greffe respectivement un violoncelle et un Fender dotés d’ambitions purement accompagnatrices.
J’avoue sans mal avoir parfois un brin décroché durant la deuxième partie du disque. Si l’ensemble aurait pu gagner en concision, le titre Is Stage Director, canevas de jazz bionique et déglingué, justifie à lui seul l’acquisition de la double galette.
Malgré ses très minces zones de flottement, Last Signs of Speed est un brillant échafaudage rythmique qui impressionne autant qu’il fascine, même en dehors de ses plus purs choix de narration percussive. A éouter muni d’un casque de qualité ou sur une installation haute fidélité pour pleinement en profiter et lui rendre les hommages qu’il mérite. Il paraît qu’Empty Editions a déjà dans ses tubes des travaux réalisés en collaboration avec Lauren Halo et Rashad Becker. Les intéressés sont prévenus.