Buzzifié sévèrement depuis 2013 et son très surcôté Seven Lies, l’anglais Djrum possède néanmoins d’indéniables skills armé de platines, et s’est révélé comme un producteur plus que sérieux. Si mes années de clubbing sont très loin derrière moi, et que je n’ai jusqu’ici que très peu souvent accordé autre chose que du mépris à la scène bass/jungle, je me permets malgré tout de m’interroger, sur le pourquoi d’un mec avec autant de compétences s’évertue à produire une musique si peu émancipée des classiques et des clichés. J’entends par là que même superbement produites, des tracks avec excès de samples surannés ne peuvent in fine que laisser un goût stérile d’hommage plus ou moins moderne à la UK Bass Culture. Certains s’en contenteront, et grand bien leur fasse, d’autres n’y verront qu’une variation très scolaire de la sempiternelle recette du pousse disques vaguement talentueux.
L’annonce d’un nouveau LP à sortir chez le légendaire R & S ne m’a pas spécialement excité, puisque je considère que malgré sa longévité, le label mise depuis déjà un bout de temps sur une absence totale de prises de risques, et se conforte dans des rythmiques et productions « signatures » pour ne surtout pas déboulonner son rang d’institution. J’avoue avoir posé mes oreilles sur ce disque, Portrait With Firewood, par attraction vis à vis de son intitulé et de sa pochette, qui dénotent méchamment avec ce que je pouvais redouter. Brillante idée, puisque cette galette fait à coups sûr partie des sorties les plus brillantes de l’année.
Djrum annonce que cet opus a été profondément inspiré par le travail très « corporel » de l’artiste et performeuse Marina Abramovic. Le dépassement des limites, l’état d’une société cadenassée, le rapport au corps et la mise en danger sont des thématiques chères à celle qui a failli claquer sous ses propres flammes, lors d’une représentation brutale qui a fait date. D’où l’intitulé Portrait With Firewood, pour un artiste qui selon ses propres dires aura connu une année 2017 particulièrement éprouvante sur le plan émotionnel. Ce second album se présente donc comme très personnel, et investit des tribulations tortueuses mais poétiques d’un être qui cherche sa soupape d’expression musicale.
Deux choses frappent particulièrement l’oreille lors des premières écoutes. Tout d’abord, le fait que jamais sans renier ses premiers amours, l’anglais a l’ambition de se poser plus en musicien versatile qu’en simple producteur conscient de ses nobles acquis. Le piano, qui est un instrument qu’il a pratiqué dès le plus jeune âge, apparaît dès les premières secondes comme tout sauf un simple pigment de caprice mélomane. Son jeu rappelle un peu, toutes proportions gardées, la force mélodique d’un Keith Jarrett et certaines trajectoires suaves et contemplatives concoctées par Herbie Hancock. Ajoutons à celà les nombreuses apparitions du violoncelle de Zosia Jagodzinska, sans qui le sublime dyptique Creature ne serait pas ce qu’il est : beau à s’en damner dans sa première partie, et autrement plus improvisé et torturé quand le kick rentre dans la seconde.
La dimension narrative du disque est également posée comme un point crucial. Car si l’album ne renie là non plus jamais ses inspirations club, il est à mon avis parfaitement conçu comme un skeud purement domestique. Comme un manifeste artistique empirique plus que comme un amoncellement de tracks dissociables conçus pour êtres playlistés. C’est probablement en celà que le disque peut diviser. Les junglists purs et durs (ça existe encore sérieux ?) pourraient se sentir trahis et voir leur fièvre pédestre dévoyée au profit des mélomanes culs assis. Pour les rassurer, les quelques extraits des sets présents sur la toile démontrent bien que l’anglais sait faire la part des choses et qu’il continuera dans sa veine old/new-school à rassasier ses plus fervents supports.
Autre qualité indéniable de l’album : sa couleur très charnelle, et définitivement organique. Et pas seulement parce que Djrum a sorti l’analo et les instruments de tous bois. C’est une texture presqu’indicible, qui enveloppe l’ensemble de l’album de sa sensuelle chaleur. Même les titres autrement plus beatés, comme Sex (impressionnant techniquement et par sa versatilité rythmique) ou l’excellent Showreel Part 3, brille de cette semblable et totale musicalité.
Portrait With Firewood est un disque accompli, et devrait, au moins sur le plan du studio, faire franchir un cap sévère dans le rayonnement du Dj anglais. Il va en tous cas très durablement squatter la platine, et aussi bousculer certaines représentations qu’on voue aux gaziers de la bass. Puisque certains se révèlent de tels musiciens insoupçonnés…
Vous auriez une idée de la signature ruthmique de Blues Violet svp ? (Toujours un plaisir de vous lire)
Pour moi c’est un 5/8 (ou 10/8 selon comment on voit les choses) sur toute la piste. 🙂
Merci pour l’article et le disque, ça tue.
il claque vraiment beaucoup ce skeud