Il y a quelques mois, le mystérieux Prince Of Denmark annonçait laconiquement la mort de son projet. Peu après, il mettait un terme à sa collaboration avec Giegling, label qu’il a grandement contribué avec quelques autres (Edward, Vril…) à faire rayonner. L’homme qui se cache derrière une multitude d’avatars, Traumprinz étant le plus connu, a à mon sens été une des meilleurs choses qui soit arrivée à la techno et surtout à la house depuis un bon bout de temps. Raw, deep, ou dubby, il a aboli les frontières entre purisme et modernité, et est parvenu à fédérer les diggers de par le monde autour de sa misanthropie et de sa sincérité.
Sorti simultanément sur un obscur label avec une autre production tout aussi recommandable d’un projet plus techno (Prime Minister Of Doom – Mudshadow Propaganda), Nothing 2 Loose par Dj Healer a lui aussi réalisé la performance d’être sold out quelques heures après sa sortie, et ceci sans qu’aucun extrait ni pré-écoute ne soit possible. Aucun lien digital n’a été mis à la vente ni au streaming, le saint graal aura donc été réservé aux rares acquéreurs de la triple galette. Il aura fallu attendre quelques semaines pour qu’une âme charitable rippe correctement le matériel analogique et le rende disponible à la plèbe. Ceux qui auront le bon goût de ne pas se satisfaire de la version disponible sur youtube sont invités à chercher hors des sentiers habituels, ou peuvent simplement me contacter pour obtenir une version de qualité supérieure. Si une nouvelle presse est censée voir très rapidement le jour, je doute que la circulation libre et gratuite d’une version digitale rippée à partir du vinyle pose un réel problème à son auteur.
Mais intéressons nous sans plus attendre à la seule question qui mérite d’être posée au sujet de ce qui est annoncé aux quatres coins du globe, comme un indispensable intemporel. Ce disque est-il à la hauteur de l’émulation qu’il génère ?
Si la religion, et plus largement la spiritualité, auront été les thématiques de prédilection du producteur allemand, cet opus est ce qui se rapproche le plus du saut de la foi.
En ces temps troublés, le clubbing et l’absorbtion massive de drogues sont des exutoires à la portée d’une jeunesse à qui on offre pas grand chose de mieux. Mais parce que les anges aussi ont des ailes, Dj Healer inscrit tous ses espoirs de résilience dans les travées du ciel. Mélancolie, romantisme, bienveillance et espoir. Quatre mots cousus en lettre de feu, pour soustraire les âmes en peine aux paradis artificiels.
Pour bien envisager cet album, il faudrait presque revenir au sens premier du minimalisme. Témoigner d’énormément d’émotions simples à partir de si peu : l’épure comme essentiel.
Si Nothing 2 Loose n’est en aucun cas un album calibré pour le club, il est une offrande à ceux qui le fréquentent. Une invitation à se questionner sur pourquoi on danse, et ce vers quoi on tente de s’échapper.
Fresque lancinante où chaque nappe et chaque breakbeat sont posés avec la minutie des orfèvres, l’album semble pourtant à l’abri de toute compression et de surproduction superflue. Indépendamment de toute connexion avec le créationnisme, c’est une expérience introspective et isolationniste à la découverte de soi dans un monde trop grand ouvert.
Rarement l’utilisation du vocoder (avec parcimonie certes) n’aura revêtue une teinte si évidente. Le choix des samples, en plus de témoigner d’un bagage culturel plus que riche, apparaît surtout comme un plaidoyer ou un manifeste. « Quoi qu’il arrive, tout ira bien. Everything is everything ».
Un fragement de The Lonely People (Are Getting Lonelier) des divins Stars Of The Lid aura réussi à me foutre par terre durant l’écoute du génial Gods Creation. Ce qu’il fait d’un échantillon de voix du classique The First Time Ever I Saw Your Face (de Roberta Flack) sur 2 the Dark est juste exceptionnel. Tout comme les extraits de l’entrevue entre Whitney Houston et Diane Sawyer de 2002 (sur The Interview), où la chanteuse se confie sur ses démons intérieurs. Tout ceci vient donner une couleur extrêmemnt significative sur ce que le producteur tente d’exprimer, aussi bien en termes artistiques que philosophiques.
Si il convient à mon humble avis de ne pas dissocier de titres du long (très long) bloc, j’avoue avoir une admiration toute particulière pour les titres 2 The Dark, Planet Lonely, We Are Going Nowhere, Gone et Hopes and Fears. Ainsi que pour le poème noyé d’ether Protectionspell en fermeture, qui semble confirmer toute la symbolique décrite plus haut.
La hype ne ment pas toujours. Nothing 2 Loose est une tuerie sans nom qui devrait faire date, jusqu’à s’incrire dans l’intemporalité. Une fresque house domestique, invitant les anges du ciel et du club à ne plus avoir peur de se brûler les ailes en approchant du soleil.
La represse, et vite.
J’ai connue Traumprinz à travers son merveilleux mix giegling n°7 par hasard sur youtube et je dois avouer qu’il est difficile de le suivre avec tout ses surnoms, c’est donc une nouvelle piste qui s’ouvre ici. Merci à toi.
Bel article, merci pour la découverte
Artiste extra-ordinaire.