Dounia traîne ses guêtres dans une cité en bordure de l’autoroute A3, où habite son amie Maïmouna, fille de l’imam de la mosquée du quartier. Dounia n’habite pas la cité mais non loin de là, avec sa mère et son cousin travesti, dans un amas de tôles au milieu d’un camp rom. Dounia a la rage, aime pourrir sa professeur là où elle peine à apprendre le métier d’hôtesse d’accueil. Dounia veut de l’argent. Quoi qu’il en coûte. Elle embarque Maïmouna dans son entreprise, qui se doit au préalable de gagner le confiance de Rebecca, la dealeuse street crédible du quartier. A ses heures perdues, Dounia aime secrètement regarder danser Djigui, qui est accessoirement agent de sécurité dans le centre commercial du coin.
Voilà, sans la moindre exagération, le scénario tient sur ça. Ce film, qui vient d’obtenir la caméra d’or au dernier festival de Cannes, se voit actuellement affublé de louanges plus dithyrambiques les uns que les autres. De droite comme de gauche, la presse salue un film social et féministe qui chronique la violence ordinaire des banlieues françaises. On crie au chef d’oeuvre, ça sent la pluie de césars. Analysons un peu plus sérieusement le phénomène autour du film.
Depuis toujours, les réalisateurs qui foirent leurs films sur la banlieue (Céline Sciamma pour Bande de filles, Jacques Audiard pour Deephan, pour ne citer que les plus récents navets) sortent tous la même excuse : « Ceci est une oeuvre de fiction, elle n’a pas à s’inscrire dans une réalité sociale ». Ceci n’est qu’un délit d’initiés pour masquer une escroquerie intellectuelle dans les règles de l’art. Car si oeuvre fictionnelle il y a bien là, elle puise son inspiration dans un territoire existant, et il convient de critiquer la portée de son message sur les plans artistiques, politiques et sociologiques.
Depuis l’effacement des vraies classes moyennes est née une nouvelle forme de bourgeoisie, de gauche ou de droite, parfois même issue de l’immigration. Humaniste, gentrifiée, arty. La banlieue la fait mouiller. Elle épouse la culture hip-hop, s’inquiète du système patriarcal d’un autre âge que subissent les femmes dans les cités, trouve les tags moches et nihilistes et leur préfèrent le graf ou le street art. Elle dit que les ateliers d’écriture et les terrains de basket c’est vachement bien pour tous ces mômes qui n’ont rien, que la discrimination c’est triste, que Macron est opportuniste mais frais et charismatique. Au point culminant de sa crise de gauchisme, elle va acheter des légumes bios dans une AMAP. Le dimanche, il arrive même qu’elle aille boire une Heineken à Nuit Debout. Elle n’est pas raciste, mais se pose des questions sur la place de l’Islam dans la république et le principe de laïcité. Elle ne traverse jamais le périph, ne comprend pas ses sauvageons qui en 2005 brûlaient même les voitures de leurs aînés, elle fout donc ses gosses dans des écoles privées. Au soir des attentats, elle pleure en boucle devant BFM, TF1 et Itélé. Dans un élan culturel et alternatif, elle va voir et applaudir Divines au cinéma indépendant de son quartier.
Voilà, j’ai vomi, merci déjà d’avoir lu jusqu’ici.
Projet d’insertion : « money money »
Houda Benyamina brosse le portrait d’une génération qui n’aurait d’autre choix pour sortir de la misère et du joug de la religion que de succomber aux sirènes du capitalisme, et pire, à celles de l’économie parallèle. Sa réalité fantasmée de la jeunesse des quartiers populaires est au moins aussi virtualisée que celle de ces personnages, qui exposent tout et rien, du plus désopilant au plus sordide, sur Instagram, Snapchat et Periscope. A la manière d’un journaliste d’investigation en CDI à TF1, elle informe et développe son cinquième art à partir de clichés éculés. Elle n’a retenu de la banlieue que les plus paumés, les plus désaxés et schizophrènes. Admirateurs de ces esclaves du système qui croient s’en être sortis, adeptes de chanteurs s’inventant des vies, de milliardaires courant derrière un ballon, tous acteurs d’un système capitaliste qui les méprisera toujours.
Si la faim justifie les moyens, dans le cinéma de Benyamina l’argent peut tout acheter, de la rédemption, en passant par le bonheur et la dignité. Comble de l’ironie, la fin du film réserve une issue moraliste encore plus malsaine. Non pas de celle qui dit qu’à force de jouer avec le feu nos divines vont finir par s’y cramer les ailes. Non, juste de celle qui énonce tranquillement que non contente d’être des réserves de capitalistes malhonnêtes en puissance, les banlieues seraient responsables de leur malheur et ne devraient pas s’étonner que les pompiers ne viennent pas les sauver puisqu’il leur arrive de les caillasser. Ah les banlieues, ces territoires de fantasmes et de contrastes, où le service public répond toujours présent et où de jeunes sportifs vigoureux décèdent étrangement d’un arrêt cardiaque ou d’une embolie pulmonaire lors d’un contrôle d’identité… ça aurait pu faire un joli film.
Féminisme michetonneux
Dans le petit monde idéal de Houda Benyamina, les filles veulent des couilles et les mecs des règles. L’égalité homme/femme passe aussi par l’acquisition de la bêtise et de la « beauferie » masculine. Les filles y ont du clitoris, acceptent de faire l’esclave ou la pute pour un Iphone 6, il faut qu’elles caressent et frappent de la même main pour gagner le respect. L’argent les hissera à l’égal des hommes, à qui elles auront le droit de claquer le magnifique boule pour s’exercer au pouvoir de domination, les mènera à Phuket ou à Dubaï où elles feront du jetski à l’heure de l’after non work. Entre deux punchlines à situer entre les pires sketchs du Jamel Comedy Club et du Despentes de seconde zone, Benyamina oublie d’expliquer que cette logique sent le rance et mènera ce pseudo-féminisme banlieusard à la cave, que ces gamines en reviendront à ce qu’elles étaient avec la dramatique expérience de ce qu’elles ont essayé d’être. Duras, Yourcenar et de De Beauvoir s’en retournent dans leurs tombes.
Cousu d’invraisemblances et de clichés, Divines est un safari pour petits bourgeois dans une banlieue qui n’existe pas. Il peut heureusement se reposer sur une photographie nettement au dessus d’un Julie Lescaut et sur une interprétation exemplaire (hormis le rôle masculin de Djigui, qui est certes bien gaulé mais doté du charisme d’une mouche pendant la guerre du Golfe). Patience, les césars arrivent. L’occasion de féliciter cet acte de terrorisme artistique, politique et sociologique. Un véritable monument démagogique.
Assez d’accord sur ta critique et les clichés un peu faciles sur la banlieue, ce que tu formules très bien. Mais finalement j’aurais pu excuser ces écarts. Ce qui m’a vraiment gêné c’est l’invraisemblance du scénario et sa tendance au « toujours plus ». Le final est gênant : outrancier et inutile.
J’ai pas vu le film et j’irai pas le voir, pas à cause de ta critique mais surtout parce que la réalisatrice m’avait paru insupportable lors de la remise des prix à Cannes (oui j’ai regardé ça…).
Du coup, mon avis est un peu biaisé et je veux bien te croire sur la vision sténotypée de la banlieue, mais par contre c’est vraiment un cliché de voir certains banlieusards comme des purs produits du capitalisme ? J’en sais rien, je demande, tu connais mieux que moi t’y as vécu et bosser. En outre, quelle vision de la banlieue t’aimerai voir se refléter dans un film ?
Intéressante critique, qui tranche effectivement avec l’unanimité dont fait l’objet ce film. Par contre, tu te trompes sur Céline Sciamma, je n’ai pas vu « Bande de filles », mais ses deux précédents films, « Naissance des pieuvres » et « Tomboy » étaient deux excellentes fictions ancrées dans la banlieue (Cergy, il me semble) et la grande banlieue.
Je ne parlais que de « Bande de filles ». Je n’ai pas vu les autres. Mais c’est pareil pour Audiard, « Deephan » m’a fait gerber mais « Un prophète » fait à tout jamais partie de mes films préférés.