Comme son nom ne l’indique absolument pas, Damien Dubrovnik est un duo constitué de Christian Stadsgaard et Loke Rahbek. Actifs au sein de la scène noise/expé depuis 2009, ils sont également les deux tenanciers du désormais très en vogue et très « éclectique » label danois ¨Posh Isolation. Vegas Fountain, leur quatrième LP, est sorti il y a quelques jours sur la dite enseigne et sera également pressé sur cire par leurs compères londoniens de chez Alter. Quand on sait que ces deux maisons réunissent en leur sein des gens aussi recommandables que Helm, Basic House, Croatian Amor, Vanessa Amara ou même plus récemment Jacob Kirkegaard, il serait dommage de se priver de jeter une esgourde à pareille association.
En ces premières effluves printanières invitant à l’hédonisme et à la copulation, il est de bon ton de vous faire partager de quoi contrecarrer l’air du temps. En des termes moins verbeux, disons simplement que si vous souhaitez torturer des chats, ligaturer les trompes de Zaz et filer une migraine à votre ORL, vos conduits vont pisser l’amour (et le pus, aussi, peut-être un peu) pour Vegas Fountain.
Bienvenue en contrées nihilistes, en poèmes de textures arides, radicales et éprouvantes, où les véritables souffleurs de vers ne succombent qu’avec bonheur aux embellies pulmonaires.
En avouant n’avoir que trop peu parcouru leurs travaux précédents, l’écoute du long format en présence m’a renvoyé à une impossible mais plus que souhaitable rencontre entre Coil et Prurient. Faire de la musique industrielle en excluant tout beating pour se consacrer sur les ambiances et sur le bruit, rien de bien nouveau sous l’astre rouillé. Encore moins lorsqu’on s’astreint à une qualité sonore – il faut le reconnaître – particulièrement frelatée.
Mais il règne en ce disque une désinvolture expérimentale foutrement géniale, une volonté d’être déstabilisant, de déranger sans sombrer dans les postures des musiques dites « extrêmes » (les moins aguerris réfuteront peut-être cet état de fait) qui force l’admiration. Les alliages de sonorités, les bascules entre rigueur et déséquilibre, les fugaces mouvements mélodiques, les rares mais précieuses frappes de forain et certains postulats dissonants y sont aussi forcément pour beaucoup.
Si le triptyque Interior obtiendra sans retenue ma préférence (sur la deuxième moitié de See Waterglass, le sentiment d’écrasement est juste à s’en damner), Fingers into Majorelle et la conclusion qui donne son nom à l’oeuvre sont aussi des pépites absolues. Le disque abandonne alors, après le déchaînement, sur une sensation de plénitude, de soulagement et de torpeur. De celle qui survient juste après les cohortes de rafales et les cris de douleur.
Vegas Fountain est, vous l’aurez compris, un excellent album. Un de ceux qui prouve une nouvelle fois que les meilleurs albums de musiques industrielles se trouvent aujourd’hui bien loin des sentiers battus, et que, si le genre est amené à disparaître, il ne le fera pas sans un grand déferlement de violence.
Un disque qui donne envie de faire découvrir à Macron la bifle au verre pilé, d’amianter les pouponnières de la République pour finalement envahir la Pologne. A réserver et recommander à un public averti, donc.