La fin du monde était hier.
Stroboscopic Artefacts est sans doute le label techno dont on scrute le plus attentivement la moindre sortie. Les italiens qui ne sont pas avares en EP, comme le prouve l’exceptionnelle collection Monad, demeurent beaucoup moins loquaces lorsqu’il s’agit de passer au long format. Pour preuve : 2 LP en 5 ans d’activité ! Ce qui pousse à penser qu’il faut en avoir sous la semelle pour passer cette étape. Après les propositions hybrides et annihilantes de Lucy et Xhin, c’est au tour du duo Dadub de franchir l’obstacle. Et vous vous doutez que l’on attendait de pied ferme cette sortie.
Mené par Daniele Antezza et Giovanni Conti, Dadub reste un duo confidentiel, ayant sorti une petite poignée de maxis, valant surtout pour ses trop rares lives hypnotiques. You Are Eternity n’annonce pas l’armageddon mais son corollaire. La fin du monde était hier, que reste-t-il de cet amas de cendre ? Dadub ne se contente pas d’une observation distanciée puisqu’allant directement au contact des éléments. L’éternité promise puise sa substance dans la boue, dans ce mélange entre terre et eau. C’est cet amas gluant, quasi organique, qui formera l’ossature de l’album que l’on doit appréhender comme un tout, comme un parcours dont l’idée même de demi-tour est à oublier.
You Are Eternity est une nébuleuse compacte parcourue d’immenses courants d’air glacial. Dadub excelle dans le travail des textures situées à l’arrière-plan. Ce vertige organique insondable ne vous lâchera jamais, vous questionnant inéluctablement sans jamais apporter la moindre réponse. A-t-on entendu un train passer ? Déambule-t-on au milieu d’une foule ? Est-ce vraiment la pluie qui tombe ? En se jouant du sampling et du field-recording, Dadub crée de vastes zones inhospitalières qui n’attendent plus qu’un partenaire pour aboutir à l’étouffement.
C’est alors qu’apparaît la rythmique, frondeuse et vicieuse comme une pute camée au crack. En balayant l’espace avec des beats mutants, You Are Eternity plonge l’auditeur dans l’angoisse la plus malsaine possible. Et autant dire qu’il est inutile d’attendre la moindre mélodie tant l’album verse dans le nihilisme. En alternant accalmies et décharges de violence, l’album prend vie. On passe ainsi avec cohérence du rampant et hybride Life au terrifiant Transfer (avec King Cannibal dont le pseudo parle pour lui-même) dont le moindre beat est un coup de serpe tailladant l’espace pour mieux le fragmenter. Tout au plus peut-on émettre un bémol sur les deux derniers morceaux qui certes apportent un apaisement (qui apparaîtra comme libérateur et nécessaire pour certains sans doute) mais semblent bien plus anecdotiques vis-à-vis de la décharge antérieure. Mais cette légère pointe d’optimisme n’entache en rien la vision globale de ce monstre post-apocalyptique n’en finissant plus de scruter nos spectres et les vestiges de notre monde.
You Are Eternity est un album dense, complexe et rude, un album qui doit se manier avec la plus grande précaution tant son impact s’avère autant physique que mental. On ne fréquente pas l’obscurité par hasard, il faut forcément être consentant pour accepter un tel défi psychologique. Dadub signe un album immersif d’une rare profondeur. Avec son troisième LP, Stroboscopic Artefacts réussi un nouvelle fois à écraser la concurrence. On tient là un des meilleurs album techno de 2013, soyez en certain.