Les sorties du label australien Flaming Pines (géré par Kate Carr) sont rares, précieuses et peu exposées. Celle présentée aujourd’hui a réuni un trio de pointures bien connues du terreau ambient. Corder Ritger Yantis est une formation composée de Jason Corder (Offthesky), Carl Ritger (Radere) et Cody Yantis. Le premier cité sillonne les institutions du genre depuis déjà quelques années, se révèle au gré du temps comme une sensation pérenne dont les limites semblent à l’abri de toute balise. Ses nombreuses collaborations avec le deuxième cité, moitié de Radere, ont fait le bonheur du webzine/label futuresequence. Le troisième, je confesse ne pas le connaître, mais je me dis qu’il n’est pas juste là pour avoir vu de la lumière à l’entrée du tunnel. Leur sombre bouquet épineux est sorti le jour de la Saint-Valentin. J’avoue ne l’avoir réellement découvert qu’un peu plus tard, qu’il m’obsède littéralement depuis, et qu’il m’aura fallu du temps pour accepter de poser des mots à son sujet.
Mes fièvres nocturnes, agrémentées d’images qui cognent et de picotements dans la nuque qui semblent venir d’ailleurs, me conduisent irrémédiablement vers ce disque. Parce qu’il est mon précieux. Que je ne veux le partager qu’avec mes très actuelles et récurrentes nuits d’insomnie. De celles où les errances poussent à parcourir tous les déserts du monde pour y kidnapper le marchand de sable. Où l’on ressort le livre de l’intranquillité pour calfeutrer ses angoisses dans les maux d’un autre, nettoyer sa vie comme on lave un corps endolori. Je toise alors l’album, cabre devant lui comme un cheval de course face à l’obstacle. Je cède maladroitement, ne sachant clairement comment l’aborder, jamais sans craintes. Parce qu’il me possède, me consume autant qu’il me nourrit.
Pourquoi faire autant d’histoires à propos d’une oeuvre monolithique cousue d’autant de latences, de strangulations électroniques et de cordes durcies par des vents glacés ? Peut-être parce que plus qu’aucune autre, la musique ambient et/ou expérimentale dynamise des contextes très personnels. Et parce que ce disque, autant dans ses grands moments de torpeur que dans ses fulgurances, accompagne magnifiquement certaines visions de chute lente mais vertigineuse, de vases d’eaux stagnantes pourries par le thé noir, de ventres qui saignent à l’appel de trop petits cadavres couverts d’étincelles. Parce que les écoutes nocturnes et répétées de ce disque m’apportent un nombre croissant de cheveux blancs, laissent sur moi des stigmates que j’aimerais pouvoir essuyer comme une larme. Et parce qu’il aide à tapisser le fond pour y rester, livre l’assurance de ne plus avoir à creuser.
(Je ne vais pas mal vous savez)
Dans sa maîtrise de la suggestion et de la radicalité, Possession est pour moi une oeuvre majeure de musique sombre en cinq actes glorifiant l’impression d’oppression. A réserver à un public averti. Aux âmes grises nées parmi les loups, abandonnées par la meute et prêtes à jeter leurs croyances aux pieds des pétrifiées. Aux aguerris qui chassent la lumière avec les doigts, chauffent dans la noirceur et ses méandres.
Encore une journée à attendre, pour que la nuit vienne nous prendre.