« Ici il convient de laisser tout soupçon ; toute lâcheté ici doit être morte. Nous sommes venus au lieu que je t’ai dit, où tu verras les foules douloureuses qui ont perdu le bien de l’intellect. »
L’Enfer de Dante a inspiré la création d’une autre porte des Enfers : celle des jardins de Bomarzo, en Italie. Visage révulsé et gueule ouverte, béance dressée à même la pierre aspirant vers la mort. Cette sculpture représentée sur l’artwork est loin d’être l’unique source de fascination de ce parc de la Renaissance, peuplé de bêtes enragées ou de dieux s’extirpant d’une pierre dévorée par la mousse. Une richesse mystérieuse qui a ainsi donné naissance à un double album tout aussi foisonnant que le lieu dont il jaillit.
Clorinde est un duo formé en 2005 par deux frères italiens vivant actuellement à Londres, Simone et Andrea Salvatici. Après The Creative Listener et The Poetry of Charles B., les deux frères interrogent ici les méandres d’un imaginaire à la fois obscur et exaltant. Chaque piste des deux albums rappelle une sculpture du parc. Ensemble, elles témoignent d’une mosaïque d’émotions complexes et fugaces, laissant cette impression d’être face à un territoire où émerveillement est à la fois synonyme de crainte, d’illusion et d’incertitude.
The Gardens of Bomarzo est un album qui se dilate dans les époques et les genres. Une approche plurielle, s’inspirant des traditions folkloriques occidentales ou orientales, unissant médiéval et contemporain. C’est une course frénétique dans une multiplicité d’instruments (percussions, mandoline, kalimba, guitare, banjo…) qui irradie d’une chaleur combative. Car si le duo s’approche de ce qui terrifie, d’une étreinte de mort et d’une perte de repères, il engendre surtout un mouvement lumineux émaillé d’une confiance retrouvée. Une vie ouverte, et l’intensément réel d’un univers stupéfiant.
Les rythmes ciselés par les percussions éclatent et se décuplent sur The Dragon. « Entre vice et vertu », l’accélération s’engouffre dans l’embrasure créée par l’ambivalence, et se gonfle d’oxygène. L’électronique n’est pas en reste, essaimant ses traces tout au long des deux albums. Des drones viennent parfois s’enraciner dans les compositions, à l’image d’Echidna and Harpy, qui rappelle que le gouffre n’est jamais loin.
Enivrant et extravagant, à la recherche de nouvelles configurations, The Gardens of Bormarzo vient trouver une place à l’écart des champs d’action ordinaires.