Depuis déjà quelques années, bon nombre de labels faisant la part belle aux synthétiseurs et aux expérimentations tout azimut, se forgent une solide réputation qualitative tout en se maintenant dans une rigoureuse confidentialité. Parmi ceux là, une immense majorité envisage ce nouveau paradigme comme régi par une immuable loi lo fi, et un recours permanent au support cassette. Très souvent, le manque de moyens financiers et l’argument DIY ne sont que des alibis pour masquer une posture vaguement arty, finalement plus vaine que réellement radicale. Vous commencez à connaître mes opinions sur ces procédés et sur l’utilisation des supports audio tombés en désuétude, je ne vais donc pas m’attarder une fois de plus sur le sujet. Fort heureusement, un nombre non négligeable d’artistes et de labels s’efforcent de ne pas maintenir leurs productions dans une certaine forme d’apologie du brouillon. Parmi eux, on peut bien sûr citer Ascetic House et Janushoved, et les moins prolifiques mais tout aussi recommandables Vanity Pill (dirigé par Alocasia Garden), Audio. Visuals. Atmosphere., Total Black, Casement Exchange, Several Minor Promises (propriété de Restive Plaggona), ou encore le russe Perfect Aesthetics dont il est question aujourd’hui.
The Look Of Love est l’oeuvre de Burning Pyre, que l’on avait évoqué fiévreux et noisy il y a quelques années sur Erotics Of Aesthetics (ici). Si son goût pour les blasts sibyllins et les rythmiques post-industrielles s’est quelque peu effacé depuis son très bel Insipid Dalliance d’il y a deux ans, c’est surtout pour offrir une part de roi à ce qui a au fond toujours fait la force du projet : cette irrésistible charge mélodique.
Nous connaissons tous avec plus ou moins de « succès » et de réciproque cet état de béatitude et de flottement. Où le feu dans le regard de l’autre se substitue aux mots, et où les tripes parlent un langage confus, mais tellement plus clair que des lèvres muettes sur lesquelles on s’échouerait pour l’éternité avec bonheur. Ces instants d’évidence où même le silence est convié à se taire, suspendus au dessus des êtres et du monde, qu’on garde au plus près de soi, même une fois que la providence et le timing auront pissé sur la flamme. C’est un sentiment où l’on est dépossédé d’une part de soi même, où le contrôle a hissé le pavillon en berne, et où l’on chérit chaque instant comme si c’était le dernier. Juste pour se souvenir de ce qui a un jour brûlé, quand on nous aura finalement repris bien plus que ce qu’on nous aura donné.
Pour illustrer comme elle le mérite sa thématique principale, Burning Pyre a fait le choix d’utiliser des nappes torrentielles et des textures gazéifiées. Pour créer une ambiance qui submerge l’auditeur de sentiments simples mais essentiels. Pour révéler cette représentation de l’amour qui est la sienne, et ceci dans toutes les nuances d’une obsidienne.
Il y a finalement peu de mots pour décrire cet album très simple mais essentiel, où les mélodies synthétiques suintent vers la pop pour toucher le plus grand nombre. Ce qui impressionne le plus est sans doute ce sentiment d’hypnose maintenu jusqu’au bout, aussi bien quand la passion tutoie l’attente, et quand le bonheur se mélange au spleen pour créer une sensation douce amère de délicieuse affliction. On retiendra plus particulièrement cette cavalcade ascensionnelle de palpitant en chamade sur Artifice & Action, ou l’insécurisant refuge friable qu’est A New Romanticism, même si tout l’album s’écoute avec le même plaisir.
En plus d’être un très simple et essentiel album, The Look Of Love est un réel onguent pour les oreilles et le coeur. Un remède à la dépression saisonnière qu’elle qu’en soit l’ardeur. Pour se raviver la flamme jusqu’aux vestiges de son dernier jour.