Je ne cesse depuis quelque temps d’inviter nos nobles lecteurs à se pencher sur Ian Hawgood, musicien polyvalent britannique installé au Japon, qui gère les labels Home Normal, Nomadic Kids Republic, Tokyo Dronings et depuis peu : KOMU. Le gars participe a tellement de projets qu’il en est presque difficile à suivre. C’est d’ailleurs lui qui a réalisé la première sortie du label (précédent juste celle-ci), le superbe et radical Shattered Light, sur lequel on reviendra très vite. Toujours est-il qu’en dehors de ses incontestables talents de musicien, ses différents abris sont des références absolues pour mélomanes volages, de l’electronica au classique, en passant par l’ambient et le drone bien épais. Black Elk est une réunion, qui relèvera peut-être uniquement du one shot, autour de quatre artistes confirmés. Ian Hawgood donc, pour les arrangements et à mon avis certaines parties de guitare. Idem pour Tim Martin, de Maps & Diagrams. L’unique Danny Norbury, proche de Library Tapes et membre de The Boats et Kinder Scout, au violoncelle. Et Clem Leek au piano, qu’on a déjà plus qu’aperçu dur des labels aussi crédibles que Hibernate, Rural Colours et Dead Pilot. Sparks est donc sur le papier une oeuvre pleine de promesses, qui bénéficie en plus d’un mastering du non moins magistral Lawrence English. De quoi plonger, les yeux fermés.
Sparks est un conte musical intemporel et mystérieux, tutoyant la terre, la mer et le ciel. Bien qu’empreint d’un brouillard cotonneux et magnétique, il s’élèvera tel un phare guidant les chiens de mer perdus au milieu des menaçants récifs. Pour rejeter ceux qui se noieront en ce sage ballet triste et nocturne, vers des berges régénérantes et opportunes.
Sparks est donc un album qui joue avec les surfaces, les textures et les distances. Si la production allouée relève du coup de maître absolu (le mix, le mastering et les arrangements sont littéralement implacables), cette triste beauté sauvage se déshabille aussi vite qu’elle se revêt. Jouant avec l’auditeur comme un pauvre marin enfin libéré, qui trop pressé, voudrait la voir trop rapidement dénudée. La formation Black Elk produit une musique qui n’est jamais aussi belle que lorsque elle est parée d’effets. Point de simple réverbération ici. Le delay se veut discret mais élégant. Tout comme la somme impressionnante de techniques d’enregistrements, qui ont la bienséance de ne jamais supplanter le coeur purement musical d’un oeuvre transie par de nobles sentiments.
Le piano, au départ exsangue mais pénétrant, annonce dès l’ouverture la couleur générale, claire obscure tendant vers le vert de gris. Dans ses instincts les plus spontanément beaux à crever, il se voit au fur et à mesure empli d’un spectre feutré et ondulant. Les pédales s’activent et se noient dans cette sobre et efficace inondation d’effets, pour construire une entité sonore extrêmement fluide et absorbante. Si la pure beauté de As Wraith trouvera toute sa substance dans les accords simples égrainés par une guitare sèche en amont de splendides ornements, le violoncelle apparaîtra comme le plus beau des éléments. Renouant ainsi avec la plus désarmante et immaculée splendeur des fusions électro-acoustiques. Juste admirable.
Après tel chef d’oeuvre concret, les exceptionnels et lumineux Jökull et Lost Hearts mèneront l’auditeur dans une vapeur saturée où l’on cherche son trop lointain partenaire du doigt. Quêtant la chaleur et la tendresse avec inquiétude, orphelin de l’autre index. Même à distance le coeur est présent, surtout quand le poids du souvenir maintient en vie l’inexplicable ravissement. Cet ersatz, de post-rock/shoegaze/droney numérique, est un véritable chef d’oeuvre de romantisme opaque et abstrait. Avant tout parce qu’on ne saurait dire ce qui anime cette musique simple et troublante, d’où viennent ces uniques et ivres parfums de spleen et de mélancolie.
La roche de Sparks est poreuse mais pas friable. Les éléments la pénètrent pour faire éclater toute sa beauté. Pour que crépitent encore et encore, le coeur et les cris d’une musicale poésie dont on a trop peur de connaître le nom.
Et il y a cette voix, manifestement jeune, féminine et japonaise, qui apparaît sur Sparks et The Blackest Sky. Sa présence (et son absence par extension) apaise autant qu’elle égratigne, renforçant ainsi le sentiment de trouble généralisé à l’album.
The Blackest Sky, bien que toujours paré d’effets et de tension, renouera avec les aspects plus dénudés sur le plan instrumental. Avec la force d’autant transmettre. Tout comme le terrassant From Hunters Point, où le violoncelle de Danny Norbury déploiera sa criante plainte, au milieu des field recordings et des jeux de voiles posés sur le piano. Ce titre se tait dans un point de transition extrêmement rapide vers le diluvien Hap, avec ce micro glitch, cet épidermique dérapage numérique qui symbolise à lui seul toute la force du mix et du bloc album. Aphotic Widow, où le dialogue franc et sec entre deux amants (le piano et le violoncelle) qui ne s’aiment comme il faut que dans l’éloignement, aboutira a cette troublante et enfantine sensation de disque rayé en Outro. C’est probablement sur ces deux titres finaux, qu’on observera avec plus de précision la virtuosité du piano.
Sparks est un indispensable. Mais ça vous l’aviez probablement déjà compris. C’est avant tout cette subtile parcimonie dans le placement des éléments qui la rend si belle. C’est parce qu’il est très absent que le violoncelle de Norbury est si remarquable lorsqu’il pointe le bout de ses cordes. C’est un album de fusion, instrumentale, technologique et émotionnelle. La seule crainte est désormais que tel projet nous laisse à jamais orphelin. La mer est une salope. Elle maintient souvent dans ses profondeurs les enfants qu’elle a préféré, pour que plus jamais la terre n’ai quoi que ce soit à leur enlever. Il ne serait donc pas complètement inutile de prier le ciel. Car cet album est je le répète, tout bonnement exceptionnel.