Dans le domaine de la hiérarchie urbaine, il y a les villes dominantes et puis il y a… les autres.
En matière de notoriété citadine américaine, il y a New York, Chicago, ou Los Angeles et puis il y a… Dubuque.
Mais Dubuque, c’est quoi ? Une agglomération américaine d’à peine 60000 habitants. La quintessence de la moyenne… Elle compte un funiculaire, un arboretum, un monastère carmélite et… un musée national du jouet agricole. (renseignez-vous !)
Quant à l’Iowa, où se trouve Dubuque, c’est le Middlewest. De fermes peintes en rouge en ponts couverts isolés, de milliers d’hectares consacrés au productivisme céréalier en lieux de tournage abandonnés dédiés au base-ball, de pick-up en autocollants pro-Trump : une cartographie qui, quelle que soit l’échelle envisagée, suscite des représentations figées marquées par un conservatisme glaçant.
Le portrait que l’on se fait des locaux génère l’inquiétude. Quant à la musique que l’on s’imagine sortir de tels endroits, où il y a peu de chances de prévoir a priori ses vacances, elle renvoie inévitablement à la country.
Mais au milieu de tout cela, il y a… Bob Bucko Jr. Imposant gaillard à l’extravagance bonhomme, il est le paradoxe culturel de la Corn Belt.
Travaillant pour le Dubuque Area Arts Collective, il se donne pour mission de promouvoir l’ouverture artistique auprès des jeunes de cet État conservateur. Multi-instrumentiste, il traverse les genres musicaux sans aucun complexe. Pratiquant le home-taping depuis le début des années 90, il joue du saxophone dans un groupe de free, de la basse dans un groupe de drone, rêve de musique gothique et s’inspire de Suicide. Décalé, il crée dans une économie de moyens et au gré de ses envies. Un peu comme si cela n’avait pas une importance capitale. Collectionnant les claviers du genre de ceux conçus pour les gamins dans les années 80 (avant que ceux-ci n’atteignent des enchères pharaoniques sur ebay), il s’est amusé à ressortir ses Yamaha et Casio afin de faire quelque chose de la bouteille de whisky qu’il s’envoyait quotidiennement.
Découvert totalement par hasard, au gré des errances sonores numériques, ce qui touche chez lui, c’est cette sincérité musicale associée à une solide capacité de composition. En attestent notamment les morceaux de la face B que des jeunesses actuelles de vingt ans aimeraient volontiers agréger à leur tentative, certes charmante mais souvent artificielle, de réactivation d’un passé qu’ils n’ont pas connu.
Decelebrate, c’est cet album qui gagne en épaisseur au fur et à mesure que l’on avance dans l’écoute. C’est cette multitude d’influences, de Hood à Pearl Jam en passant par Kim Ki O ou Martin Dupont. C’est cette échappée en forme de dédicace fin 80’s début 90’s. C’est une mélancolie touchante parce que déglinguée.
En d’autres termes j’ai adoré! 🙂
Après avoir envisagé un temps une retraite à Détroit – quintessence horrifique à mon goût, le pire de mes représentations de bas de « hiérarchies urbaines » en friche-, j’ai lu…très attentivement…puis écouté…non moins attentivement…et décidé de défaire mes propres écheveaux de pensée précuite. Merci pour cette improbable découverte et pour cette… « Délivrance »!