« Arriver une fois l’œuvre réalisée par quelqu’un d’autre, et puis ne travailler qu’à la perfectionner : c’est peut-être ainsi que s’est faite l’Iliade. »
Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité, Paris, 1999, p 297
Le Post-Rock est un sous-genre qui se décline peu. Comme tout sous-genre, il est hermétique. Il tend à l’expérimentation et au déploiement de soundscapes lancinants. Il se fait lourd pour accentuer le souhait d’immersion. Plongeons plus avant.
Le terme musical apparaît au grand jour en 1994 à travers les lignes écrites par Simon Reynolds à propos d’un album de Bark Psychosis dans la revue Mojo. Terme efficace, autant définitoire que définitif. Un peu moins de 10 ans plus tard, c’est le mot « drone » qui s’y substitue. Pour, au final, ne décrire qu’un procédé qui varie peu. Changer de terminologie pour poursuivre l’exploration. C’est peut-être un peu cela, le point commun entre tous les groupes identifiés de la sorte.
Car le Post-Rock, c’est un état d’esprit. Un approfondissement. La volonté d’une d’introspection qui n’aspire qu’au déploiement, dans un souffle contenu. De ce fait, si vous comptiez sprinter en matière d’écoute, passez votre chemin. Il est des véhicules qui sont faits pour l’endurance. Si un tel élément doit être mis en exergue, eh bien, c’est parce que le groupe qui ouvre cet opus, AUN, s’impose tout autant par sa longévité que sa régularité.
Neuf ans depuis le 1er album, quasiment une décade qui rassure par sa permanence touchante et évocatrice. Mais il serait outrancier de centrer le propos sur le duo canadien car cette forme de split est un objet un peu particulier. En réalité, hormis le 1er morceau, il s’agit d’une captation de concert ayant réuni à Nice AUN et LOC.
Étrange et providentiel d’avoir pu bénéficier de la présence des premiers grâce au soutien logistique du second. Car en matière musicale, que dire de la Côte d’Azur sinon qu’elle se définit fréquemment dans les regards extérieurs comme un finist[erre]. Et pourtant, l’énergie n’y manque pas. Tout le paradoxe d’une contrée qui, soumise aux invasions d’estivants et dégueulant de superficialité vulgaire, recèle cependant des tenants encore purs d’une exigence culturelle. Après, on s’arrête au 1er constat ou pas.
L’organisation du concert a donc généré une rencontre entre les Nords-Américains et le Niçois. De ce contact a découlé l’envie de jouer ensemble. Enfin, celle-ci a abouti à la production de l’objet sonore proposé dans ces lignes. Rien de révolutionnaire, tout le monde en conviendra. Mais il est question de musique comme de carrefours : les gens s’y croisent, parfois de manière surprenante, et cela est toujours édifiant. Le genre est respecté dans son expression la plus première. L’empilement de nappes, la collision sonore ainsi que la saturation sont au rendez-vous, à ceci près qu’AUN se dirige de plus en plus vers l’électronique, avec notamment l’utilisation d’un theremini, lorsque LOC accentue davantage la configuration classique du genre en usant de la guitare et des pédales d’effets.
Au final, les Canadiens ont donc fourni le 1er morceau (une réalisation studio) pour que s’enchaîne la captation du live joué par le français, avant de conclure par l’improvisation que les deux ont offerte en concert. Et c’est là que se déroule l’enjeu. Le passage de relais entre deux projets, deux générations, pour une passion commune. Si l’on préserve à l’esprit cette simple réalité, on ne peut que se satisfaire des efforts et de l’engagement partagés.