Arovane est un mythe, à défaut d’être une légende. Malheureusement moins reconnu que tous ceux qui ont eu la chance (plus que le mérite) d’être affilié à l’âge d’or des pépites warpiennes, l’allemand Uwe Zahn n’a pour seul tort que d’être arrivé tout juste quelques années après la bataille. Ceci bien sûr, si on accepte de faire l’erreur classique : celle de juste le cantonner à sa floppée d’EP pré-Tides (dont l’excellent Icol Diston) et à la scène IDM/Electronica en général. Même si un album comme Atol Scrap porte bien ses 13 printemps (non, Tascel_7 n’est pas l’oeuvre d’Aphex Twin), il est aujourd’hui encore possible d’y déceler tout le génie d’Arovane et ce qui allait suivre juste après (ou en même temps). Sans aller jusqu’à dire que la rythmique n’a jamais été son point fort, l’allemand est surtout reconnu pour ses glorieuses aptitudes de mélodistes. Pour sa capacité à sortir deux arpèges et trois accords plaqués du synthé qu’il faut, et transporter l’auditeur au pays des rêves sans réveil sordide. Le simple beatwork (pas simpliste) est finalement plus un élément secondaire et un moyen d’arriver à ses fins (même si comme toujours il y a des exceptions qui réfutent la règle) qu’un déversoir technique pour vanter les mérites du séquenceur ou de la drum box dans l’air du temps.
Tides, sorti chez City Centre Offices également en 2000, est tout sauf un album d’IDM. C’est un petit chef d’oeuvre cousu de claviers baroques, de sublimes mélodies downtempo qui empruntent autant aux cendres du trip-hop qu’au breakbeat sage. Suivront ensuite un album composé avec Phonem ( AER (Valid) mi split et mi collab’, autrement plus « expérimental » et beaté) et celui qui créa définitivement le mythe : Lilies. Pour ce qui est de la composition pure et de la mélodie, les talents de l’architecte de formation y atteignent des sommets. Tant et tellement que même si, lecteur éclairé, tu ne l’as jamais écouté en entier, tu as forcément déjà entendu Pink Lilies ou Tokyo Ghost Stories quelque part. Sans même mentionner l’inaltérable et plus ambient Good Bye Forever, celui qui devait formaliser à jamais les adieux. A jamais avortés, puisqu’Arovane revient finalement chez n5md (label de Mike Cadoo à qui on doit déjà cette année l’album d’Ocoeur). Avant de poursuivre, prenons au moins quelques minutes pour nous remémorer le génie qu’il est et a été.
Si le retour d’Arovane est incontestablement une excellente nouvelle pour les sphères électroniques, et que l’annonce du dit retour et de la sortie d’un nouvel album a créé une véritable émulation, Ve Palor va diviser et ce pour plusieurs raisons.
Le fan absolu, d’un genre ou d’un artiste, qu’il le soit de la première heure ou non, est le dernier des cons. Parce qu’il finit par développer comme un sentiment de possession vis a vis de ce qui emplit ses oreilles. Mais aussi parce qu’il finit par attendre des artistes ou de la musique ce qu’il veut entendre, plutôt que de se contenter de ce qu’ils ont à lui donner et de suivre, ou non. Les imprévus sont pour le fan absolu comme autant de trahisons. Ceux qui ont découvert Arovane ces six derniers mois peuvent donc se réjouir, puisqu’ils ne sont pas assujettis à ces représentations sclérosées. Ils vont emmagasiner Ve Palor comme ils l’ont fait pour le reste, et ne seront pas décontenancés par ce qui est bien plus qu’une continuité dans l’oeuvre de l’allemand : une petite révolution. Même si tu l’as déjà compris, et que ça va être très dur, je vais faire mon possible pour ne pas être trop con.
Ce qui surprend le plus en premier lieu sur Ve Palor, ce sont ses aspects les plus démonstratifs sur le plan technique. Pour la première fois, la dimension purement mélodique est reléguée à un niveau inférieur. Un soin tout particulier est posé sur la production, le mix est peaufiné à l’extrême. Il faut dire que l’allemand a eu tout le temps qu’il lui fallait pour repasser dessus, puisque certains titres ici greffés datent de 2003 et étaient conservés pour une sortie qui n’a jamais vu le jour. De quoi faire naître de nouvelles ambitions rythmiques chez l’allemand ? Probablement. Une sensation de surcharge, pour ce qui est des drums, pourra d’ailleurs apparaître chez ceux qui attendaient plus de beauté que d’impression. Comme un sentiment de tricotage intempestif dans le tracklist anarchique certes très bien branlé, où tout sursaute, « drill » et vrille à souhaits, mais où les aspects mélodiques et le travail sur les synthés qu’on apprécie particulièrement chez l’allemand semblent cuits à l’étouffée. Tout apparaît surtout extrêmement varié, pour ce qui est des différentes techniques et de la technologie utilisées. Les amateurs de beat taillés à la serpette, de snares qui pétillent, d’éléments synthétiques élastiques et d’absence de thèmes prisonniers dans la torpeur vont apprécier. Et pas qu’un peu. Les autres (dont je fais partie) aussi, mais peut-être dans une moindre mesure, nourrissant finalement quelques légers regrets, à contrario d’une véritable déception.
Arovane a changé, impressionne plus qu’il ne fait pleurer. Il n’y a plus qu’à l’accepter, objectivement, sans grandes difficultés, même si nous étions nombreux à attendre de lui l’album de l’année. Mais nous avons bien des choses auxquelles nous raccrocher, comme son empreinte de naguère même si elle ne fait ici que planer. Elle nous rappelle ce pourquoi on l’a aimé. Et ce pourquoi on continuera de croire en ses analogiques mélopées, qu’on espère à nouveau voir un jour nous terrasser. Il y eut bien des moments où ce fut le cas, comme, pour ne citer que ceux-là, sur le sublime et déjà classique c ll lt, ou sur les incroyablement bien construits leptr er deev (leurs fins sont juste guedins), mais peut-être pas assez. On attendait peut-être trop d’un mec qui a réalisé des chefs d’oeuvre comme Atol Scrap, Tides et Lilies. En tous cas suffisamment pour faire à propos de Ve Palor ce constat nuancé. Arovane est de retour, c’est déjà suffisamment énorme pour nous rassasier. Pour ce qui est du reste, c’est à vous de juger.