Nombreux furent les artistes techno ou même house à répondre avec le temps aux sirènes de genres un brin moins « limités », éloignés du strict dancefloor et des sillons purement binaires. Si parmi tous ceux là certains n’ont pas pleinement abandonné le beat, rares cependant sont ceux à avoir obtenu une audience et une reconnaissance à la hauteur de leurs attentes et de leurs revirements. Malgré les apparences, le turinois Andrea n’a pas grand chose du pur rookie et a fait ses premières armes sur une scène dancefloor italienne qui ne brille pas spécialement dans nos contrées, mais qui n’a définitivement plus rien à prouver. A l’instar d’un Skee Mask et de son glorieux Compro, il s’est sans doute autant cherché que le label qui les héberge : Ilian Tape, aujourd’hui devenu bien plus qu’un bête et méchant micro label de chineurs.
Avoir cité le munichois Skee Mask en préambule n’est pas anodin. Car oui, comparaison, et même filiation, il y aura. Parce qu’ils sévissent au sein d’une même crèmerie, d’abord, et parce qu’ils ont pris tous deux le risque de rompre avec la complexité, la nerdification et la froideur clinique que l’on attribue parfois à l’IDM, pour redonner ses lettres de noblesse au sacro saint breakbeat, ici ciselé à souhait.
Point d’enchevêtrement rythmique abscons ici, ni même besoin d’un quelconque tricotage intempestif pour faire dodeliner la nuque. Pas de parti pris particulier pour les chapelles clivantes du hard et du software, et là où certains regretteront peut-être un léger manque de formalisme et de concept, d’autres y verront un hommage éclairé au DIY et plus largement à la liberté absolue de production.
Sans le moindre instant évoquer l’hédonisme, Andrea fait cependant transpirer sa culture et sa formation club dans ses nouvelles envies. Dans le mix, déjà, limpide comme de l’eau de roche, mais aussi dans des petits rien qui font simplement la marque des grands : souligner un kick au juste endroit (Drumzzy), faire flatuler une basse sans verser dans la wobblisation vulgaire et adolescente (TrackQY), rechercher l’efficacité en abandonnant toute fioriture démonstrative (Isabelle’s String). Et surtout, concevoir chaque titre comme un banger potentiel jamais dépourvu d’harmonique.
Toute la fraîcheur du projet se situe dans la désobligeante facilité avec laquelle l’italien enrobe ses versatiles surpiqûres rythmiques de nappes et de motifs joliment cosmiques. Sans jamais abandonner le moindre instant la rigueur rythmique intrinsèquement liée à la qualité de ce genre de musiques, Andrea signe donc chaque production par des éclairs de synthés particulièrement bien choisis. Ce qui apporte un sentiment léger de narration mélodique tout à fait bienvenu à une oeuvre qui sans ça aurait pu sembler un rien trop longue.
Grâce à une culture musicale électronique visiblement pléthorique, Andrea tisse des ponts entre la house, la techno et la drum’n bass pour réaliser une oeuvre d’une élégance et d’une intelligence rares, jamais dénuée d’émotions et d’invitations à une émulation aussi bien mentale que pédestre. Pendant très longtemps l’algèbre informatique dépourvu de vie régnait sur l’IDM, des gens comme Skee Mask et Andrea rappellent à tous et toutes que d’autres voies sont possibles. Il était temps.
L’album d’Andrea est un régal
C’est aussi un plaisir de pouvoir te lire à nouveau
Depuis Compro je suis Ilian Tape de près et je suis rarement déçu… J’ai donc déjà apprécier plusieurs fois cet album (gratuitement biensur) sans avoir la capacité de faire la quelconque « analyse ». C’est là que tes mots m’apportent en me confortant dans l’idée de tenir une bonne galette. Alors pour soutenir un artiste et un label qui en valent la peine mais aussi célébrer cet article, je m’offre un vinyle 😉
Au plaisir de te lire!