L’italien Andrea Belfi ressemble à un dandy d’un autre temps. C’est néanmoins un batteur hors-pair qui est aujourd’hui bien installé sur la scène dite expérimentale. Sur disque comme en live, il impressionne de par ce qu’il arrive à tirer d’un setup pour le moins rudimentaire. Depuis quelques années, des embardées électroniques parfaitement maîtrisées sont les alliées de ses meilleurs travaux : l’excellent Wege (2012 – Room40) et le très bon Natura Morta (Miasmah – 2014 – chroniqué ici).
S’il sait se montrer tout aussi pertinent en groupe (notamment avec David Grubbs et Stefano Pilia), son jeu a parfois souffert du caractère inégal de la formation « all star » B/B/S (avec Erik Skodvin et Aidan Baker). Pour l’avoir vu en live délivrer une prestation uniquement acoustique (devant une foule d’au moins 12 personnes du côté de Labège), j’ai été particulièrement impressionné par sa capacité à tracer un chemin tout à fait original, qui emprunte autant au jazz qu’au krautrock tout en demeurant parfaitement ludique bien que non étiquetable. Moins de six mois après Alveare, réalisé en collaboration avec l’artiste visuel Matthias Heiderich sur le label français à suivre IIKKI, l’italien apparaît sur un autre label nouveau né, FLOAT, pour publier Ore, qui à priori s’annonce comme une autre jolie mandale.
Une fois de plus, c’est avec la puissance de feu d’un Kolibri qu’Andrea Belfi parvient à déployer la grosse artillerie. En plus de son incontournable batterie finlandaise, l’italien n’est en effet armé que d’une petite bécane modulaire entièrement numérique et d’un sampler.
Si l’ensemble du disque peut prendre des atours de rituel panoramique dopé au synthétique, c’est bien la batterie ici qu’on célèbre. Le jeu au pied, les cymbales, baguettes et maillets. Les mauvaises langues diront qu’on fait juste face à d’excellents solos pimpés. Les vrais savent que le tour de force auquel prétendait l’italien depuis longtemps est ici dévoilé : déshabiller une complexité absolue de composition par la simplicité d’exécution. Et ça poutrasse des ratons-laveurs.
Ore est un reptile, une hydre grouillante qui tient au départ l’auditeur à distance pour mieux l’amadouer et l’infecter progressivement. L’enchaînement Iso/Lead sonne le glas de l’antidote, la seule contre-mesure possible est de se fracasser la tête contre les murs pendant plus de dix minutes. Et d’en redemander par peur du manque.
Construits comme des krautrocks aliénés, chaque titre révèle une pièce d’un dédale où le reptile à toujours un coup d’avance sur sa proie. Si les termes psychédéliques et hypnotiques sont aujourd’hui galvaudés et mériteraient d’être bannis de toute chronique musicale qui se tend à se respecter, ils résonnent comme particulièrement adaptés pour l’expérience qui nous est ici proposée.
Ore n’a au fond qu’un seul défaut, sa trop courte durée.
Andrea Belfi réalise donc ici un des sommets de sa discographie, un album exceptionnel, qui sur le papier aurait pu s’annoncer comme rébarbatif et nébuleux. Il est tout le contraire de ça : passionnant et (presque) accessible à tous. Une collaboration future avec le musicien Oren Ambarchi apparaîtrait aujourd’hui comme un saint graal tant les deux musiciens dégagent une potentielle et désarmante complémentarité. Feu !