Longtemps basée du côté de Nottingham, Aja Ireland s’est construite une fiévreuse réputation de performeuse live avant de se laisser aller à l’essai studio. En effet, ses seules apparitions discographiques sont : une participation à l’excellente compilation d’Opal Tapes sortie en ce début d’année (The Harvest Of A Quiet Eye), et la pose de sa voix sur le titre Spit issu de l’album Bitter Music de Perc. Si la hype nous avait déjà fait le coup de l’égérie fashion LGBT avec Pan Daijing l’année dernière, comme si le genre ou l’orientation sexuelle des gens avaient une incidence sur leur talent artistique où sur la curiosité qu’on doit leur porter, l’opportunisme un peu malsain des communicants de l’industrie a démontré que la qualité n’était pas toujours du niveau de l’émulation montée à deux mains gauches. Si Opal Tapes ne jouit plus de la même aura qu’il y a quelques années, on les sait peu coutumiers de ce genre de manoeuvres et le label demeure un gage de sérieux. En plus d’être leur meilleure release depuis très, très longtemps, le premier album d’AJA est un des tous meilleurs albums sortis cette année, comme une inespérée rencontre entre Pharmakon et The Body.
Dans les sombres et tortueuses allées de la scène noise expé, on a tellement évoqué les théories de catharsis par le bruit que c’en est devenu un concept convenu et aseptisé, parfaitement vidé de son sens. Bien embêtés, les artistes eux-mêmes énoncent tous et toutes de similaires lieux communs pour décrire une démarche qui n’a plus grand chose d’originale. Mais là aussi, la britannique va emprunter des chemins de traverse, à contre courant de tous ses collègues qui versent souvent dans le discours austère, très cérébral et arty.
Comme si elle n’avait pas envie de faire un choix entre la culture club et le côté punk, elle présente sa musique tel un écrin sombre, mais festif, ludique et coloré. Et démontre également qu’on peut illustrer ses primitifs instincts tout aussi intelligemment sans se prendre trop au sérieux. Parce qu’aussi bruitiste et tellurique soit sa performance, elle semble l’envisager avant tout comme une fête. A l’anglaise quoi. Nique le hardcore s’il est sans paillettes.
Armée de sa voix, d’un sampler, d’une drum machine et d’humbles synthés, AJA se situe dans une démarche de charge maximale. Dans la moindre de ses déflagrations, dans chaque patate de forain, elle injecte une dose létale d’adrénaline et parvient à intégrer un truc qui manque cruellement à toute cette scène souvent fréquentée par des nihilistes un peu autistes prônant l’isolationisme : du groove. Je sais pas si c’est le bon terme, mais en tous cas un truc qui encore une fois pousse l’auditeur vers une forme de célébration hédoniste.
L’album en lui-même est construit comme une performance très étudiée, où absolument rien n’est à jeter. On juge souvent l’excellence de ce genre de disque à sa capacité à entamer et à clore les hostilités. On ne réduira donc pas cet éponyme à son peak time carnassier Tuck It, Tape It, mais comme une mornifle généralisée célébrant une exceptionnelle raclée collective.
Un seul regret cependant. Qu’un album de ce niveau ne sorte uniquement qu’en version physique cassette (pas encore sold out à l’heure où j’écris ces lignes). Espérons donc, en plus d’une suite rapide, un pressage vinyle dans les plus brefs délais. Plus que chaudement recommandé pour danser trop près des murs.