La productivité infatigable du canadien Aidan Baker n’est toujours pas en berne, n’en déplaise à certains. Après avoir notamment sorti Brick Mask aux côtés d’Erik Skodvin et d’Andrea Belfi en fin février dernier, le voici qui publie deux albums sous son propre nom à peu de temps d’intervalle. Already Drowning, sur Gizeh Records, sur lequel il s’écarte de ses sillons familiers pour s’entourer de différentes voix féminines, et Aneira. Celui-ci paraît sur le label italien Glacial Movements, où l’on retrouve Celer, Pjusk ou encore Retina.it, tous liés autour du désir de faire des territoires froids et inhospitaliers une inspiration sonore.
Aneira, qui signifie « neige » en gallois, est une piste unique de presque cinquante minutes. Pour cet album, Aidan Baker se saisit d’une guitare 12 cordes qu’il manipule et étire avec divers outils, engendrant textures et résonances polaires. L’exercice n’est certes pas nouveau pour lui, mais il atteint sur cet album une maîtrise vertigineuse susceptible de noyer les poumons de l’auditeur dans un engourdissement hypnotique.
La guitare est ici jouée dans la brûlure de vents qui tournoient et se défont dans les crevasses. Elle déploie des drones mordus par le givre, déroule et enroule sur elles-mêmes des couches sonores neigeuses.
Aneira est un disque qui recrée le lent déplacement au bord des abîmes de l’engourdissement. Qui se prolonge indéfiniment dans la trame spectrale du mouvement d’un glacier ou d’un sol gelé en lente fracture. Les cordes sculptent ainsi le poids d’une neige infusée dans l’absence, se démultiplient pour recréer toute l’épaisseur d’un brouillard chargé d’indétermination. Elles offrent une densité rare à l’absence et à l’inhabitable. Guérissent du vide.
Un album dans lequel on s’enfonce sans sombrer, maintenu par des montées de tension régulières se pressant dans les membres, par des bourrasques de neige qui prennent à la gorge, et par des boucles de froid se répondant sans cesse dans la moelle.