Après une palanquée de maxis qui individuellement ont presque tous fait grand bruit (tu te douteras bien que j’ai préféré le split avec Dopplereffekt à celui avec SBTRKT), le berlinois Objekt (TJ Hertz de son vrai nom) sort enfin son premier long format sur PAN, maison de Bill Kouligas qui s’élève en ces temps électroniques troublés comme le label le plus passionnant du moment. Miseri Lares de Valerio Tricoli, le Koch de Lee Gamble ainsi que le présent Flatland, dans des registres très différents, devraient truster les plus hautes places dans tout « top de l’année » qui prétend se respecter. Mais trève de palabres, tentons de poser tant bien que mal quelques mots à propos de cet objet sonore non identifié.
Depuis bien trop longtemps, il est rare de pouvoir célébrer l’avènement d’un véritable créateur dans les contrées électroniques. Les sources d’inspiration des uns et des autres, pour ne pas dire les copies plus ou moins masquées, sont bien trop ostensiblement exposées pour qu’on y succombe avec la ferveur d’un peshmerga devant un kebab fraîchement ciselé. Néanmois ne nous mentons pas, l’inspiration d’Objekt vient elle aussi d’ailleurs, plus probablement des deux premières vagues Detroiter et de leur aspect « anticipation » si particulier, mais aussi des désormais lointaines heures glorieuses de Warp. Sans un instant occulter la troublante et désinvolte spontanéité qui éclabousse les moindres recoins de Flatland, l’allemand n’effectue au fond « qu’une synthèse » géniale de techno, d’IDM, de sound design et de bass music (heureusement réduite à son essentiel). Sauf que voilà, ça n’avait jamais sonné comme ça, et aussi rassembleur. Même si son opus contient des éléments sévèrement « pupute », Objekt a le don d’expérimenter réellement sans sombrer dans la gratuité, de faire de la musique très intelligente sans se prendre trop au sérieux. On appelle ça l’apanage des grands.
Un coup d’oeil rapide au tracklist suffira pour constater avec bonheur le retour des pérégrinations vrillées et contemplatives de la mystérieuse Agnes (laissées en jachère sur la première face d’Objekt #3). C’est pourtant presque sur ceux-là qu’on s’attardera le moins, éclipsés littéralement qu’ils sont par les prouesses techniques d’un One Fell Swoop, ses cuts de boucher, son crescendo impressionnant où un goutte à goutte bionique viendrait injecter le climat de folie nécessaire à toute dérive bicéphale préalable.
(A la suite de l’écoute de ce titre, je suis allé me baigner dans un lac non loin de Fegersheim, me suis réfugié dans un rang de sumac, j’ai chié une truite arc en ciel, et je n’ai pas saigné)
L’enchaînement de Ratchet et Strays s’élève alors (trop ?) rapidement comme le peak time de l’album. Là aussi mais encore plus qu’ailleurs, on trouve de furtives embardées mélodiques et « bleepiennes » venues d’un autre monde, contrastant sévèrement avec ce déferlement rythmique prompt à instaurer une transe régressive où l’on intellectualisera surtout plus rien. Du grand art.
Des rillettes de crabe à déguster par l’oignon, un coeur de canard en sorbet à s’inoculer directement dans le capiton.
Je te parlerais bien ensuite de la bassline de furieux et des effets sur les batteries (dignes des plus grands dubmaster) que contient Dogma. Du rouleau compresseur rampant, des lasers et des mornifles posées sur les cordes synthétiques girly et à salir de One Stitch Follows Another. De la basse fréquence fécale et du sound design haut perché de Cataracts. Mais tu sais bien ô toi, fidèle lecteur, que les reviews track by track sont réservées aux footix de la chronique dithyrambique, et qu’il te faudra donc chercher ton miel d’émotion dirigée ailleurs.
Très loin de la froideur clinique, de toute dimension kilométrique et de réflexes bêtement « bass », Objekt fait l’amour prolétaire à de multiples scènes, signe sur PAN une synthèse inspirée et particulièrement géniale : ce qui est déjà probablement l’album électronique de l’année. Un disque et un artiste que les gens de Warp auraient pu sortir il y a des années, qu’ils ne peuvent aujourd’hui que contempler (à défaut de pouvoir peut-être le débaucher). Bref, si nul n’est prophète en son pays, le bâton de témoin est définitivement transmis. Attention, ceux qui n’aimeront pas cet album seront par chez nous accusés de fascisme. A chacun son BHL (et son sirop pour la chtouille).