Près d’un an après sa naissance, le label moscovite Dronarivm continue d’abreuver ses suiveurs de perles réalisées par la crème de l’ambient. Son fondateur, Dmitry Taldykin, s’est d’ailleurs offert récemment les services de Pleq pour assumer les fonctions de tuteur artistique. On ne doute pas un instant que l’important réseau du musicien polonais a grandement influencé la liste des contributeurs présents sur cette ambitieuse compilation. Sans tous les énumérer, disons simplement qu’on a pas affaire ici à des novices. Des maisons renommées dans le genre, comme 12k, Glacial Movements, Home Normal, Hibernate, Tench, Kranky, Line ou encore Farmacia901, ont accueilli à bras ouverts certains d’entre eux. Ils sont quinze, de dix pays différents, à réaliser chacun un titre de cinq minutes. Aquarius, constellation musicale qui déverse son nectar à destination des contemplatifs de tout bord, était éditée à 200 exemplaires. il n’en reste plus que 17. Ceux qui seront convaincus par la chronique qui va suivre et par le lien de pré-écoute ont donc intérêt à s’activer.
La compilation est un exercice difficile. Avant tout parce que qu’il y est qualité ou pas, ce genre de formats peine à se vendre. Et parce que si elle est trop cohérente, elle se verra taxée de linéaire. Si elle est trop variée, on la qualifiera d’anarchique (ce n’est pas un gros mot) et/ou de bordélique. A titre de comparaison, Aquarius ne bénéficie pas de l’extraordinaire line up réuni pour une oeuvre caritative autour du zine américain Headphone Commute en fin d’année dernière. Elle est par contre exemptée de ce questionnant mix new-age, qui a troublé plus d’une paire d’oreilles sur …and darkness came, qui heureusement contenait aussi son lot de joyaux. Alors autant le dire tout de suite, Aquarius est la meilleure compilation réalisée dans le genre et ça depuis très longtemps. Depuis un certain volume 3 de The Silence was warm chez le japonais Symbolic Interaction (tout juste revenu aux affaires ce mois-ci). Mais revenons donc à ce qui nous occupe.
Les échos cristallins du toujours excellent Federico Durand titillent le sommet des arbres millénaires. Le souffle oblique des vents annoncerait-il un décollage tout proche vers de nouvelles contrées in-sondées ? The Green Kingdom et son effleurage délicat, toujours à la limite du folktronica, ne répondra pas à la question tout de suite. Mais il est très malin d’avoir placé ces deux titres l’un derrière l’autre, la complémentarité des textures tièdes et champêtres des deux artistes n’étant plus à prouver.
Les reflux gazeux et bleepiens de Pjusk prennent de la hauteur en explorant les profondeurs et en pourléchant les fistulines d’une mine à ciel ouvert. Offthesky redonne lui des lettres de délicatesse drone à un Pistorius initialement réalisé par le français Melodium. Je crois comprendre alors que le trait ambient va grossir progressivement, que les thèmes vont peu à peu se voiler d’ambivalence. Les superbes embardées spectrales de Simon Whetham, même dans leurs aspects les plus brouillées, confirmeront ce constat furtif avant que l’échappée spatiale et romantique de Loscil ne vienne flanquer à terre la théorie première. Puis le sublime A Room Full Of History de Marsen Juhles, récemment auteur d’un Endless Change of Colour de toute beauté (et salué comme il se doit par Aurélie S ici), redéfinit à nouveau l’espace et la profondeur à l’aide de merveilleuses tensions inquiètes. Ce titre est sans doute le chef d’oeuvre de l’ensemble. Parce qu’il cadenasse des captures instantanées de souvenirs enfouis et douloureux en en sauvegardant que la magie, il a forcément une saveur toute particulière à mes oreilles.
Je ne vais pas répéter tout le bien que je pense de l’ambient céleste et propice à l’hibernation cotonneuse de l’italien Fabio Orsi. La simple écoute de Treffen Am Café Chagall vaut largement toutes les stériles descriptions qui font de la chronqiue musicale une escroquerie sans nom. Puis Pillowdiver, tout en régurgitation d’ondes pénétrantes, assombrit à nouveau avec brio le déjà somptueux tableau. Le voile de traine, les loops et les drones de Machinefabriek trouvent une place de choix juste après. Idem pour la chape de plomb posée sur le bucolisme du toujours excellent Hakobune (je ne suis jamais objectif avec le japonais), ici en compagnie de son compatriote Hiroki Sasajima.
La compilation prendra alors un surprenant mais bienvenu virage funeste, avec des compositions sombres venant d’artistes exerçant la plupart du temps dans des sentiers certes nébuleux, mais toujours en « clair obscur ». La plus grande surprise viendra sûrement de Pleq (ici accompagné par Mathieu Ruhlmann), qui a certes délaissé depuis déjà un moment son style « glitch & melancholy » pour des sentiers plus expérimentaux, n’était jamais apparu (dans mes souvenirs) si obscur. L’effervescent Metrics #1 révèle un climat anxiogène et malsain où la moindre déflagration cliquée délite. Après son splendide Blue Hour, paru plus tôt cette année, Yann Novak viendra avec un tout aussi déchirant, minimaliste et élégant Amphi Extraxt, fermer cette compilation référence.
Débutant sur les lumineuses berges de l’electronica, pour aller ensuite mourir dans de sombres profondeurs plus expérimentales, Aquarius est une compilation qui va faire date dans le sérail. Si les hommes descendent du songe, un joli marche-pied leur est ici proposé pour aller tutoyer la voie lactée.
La compil récemment sortie par Eilean rec. t’a t-elle fait détronner celle-ci ?