Le label Dronarivm, de par sa productivité toujours qualitative, devient difficile à suivre. On ne rappellera jamais ô combien Dmitry Taldykin fut inspiré de s’adjoindre les services de Pleq, à qui il a confié un rôle de parrain. Le musicien polonais jouit d’une réputation solide et a, dans son escarcelle, un réseau d’artistes assez impressionnant. Ceux qui se souviennent d’Aquarius (ici) ne peuvent pas avoir oublié le casting qu’il réunissait, ainsi que sa cohérence et tout le soin apporté au sillon narratif. Dronarivm sait mieux que personne « commander » des compilations, en y dégageant une thématique fédératrice et prompte à lier les oreilles et l’imaginaire. 15 Shades of White est sortie le soir du réveillon de noël. Outre son titre un brin « facile », elle rassemble une nouvelle fois un panel d’artistes incroyables (bien connus des habitués de notre section ambient/modern classical), et re-donne aux compilations leurs lettres de noblesse. Le label a depuis sorti des albums de The Green Kingdom (déjà pratiquement sold out) et d’Anne Chris Bakker (en pré-commande et presque assuré du même succès), tous deux présents sur la compilation du jour. Si nous décidons d’en parler, il y a de fortes chances pour qu’à ce moment là, deux ou trois autres sorties soient déjà dans les starting blocks. Alors, pour vous soustraire à l’agitation et à la dictature de l’actualité, revenons sur les trésors que recèlent 15 Shades of White.
Le « spleen heureux » est un état particulier, empli de questionnements qui rassurent autant qu’ils animent le défilé du temps. Il est également un gage de sécurité pour les sujets à l’entérite, pour les éreintés en quête d’étreinte suspendue à l’éternité. 75 minutes et 15 nuances de grisâtre mélancolie, de joie funeste, charbonneuse, de pommade camphrée pour embrasser la nuit. Un mélange de bois, de cordes, de laine, de touches charnelles blanches et noires, se jouant de la lumière et de ce que l’on peut y voir. 15 nuances à qui on ouvrira volontiers la chambre des inquisiteurs du soir.
Si cette compilation mérite à mon avis le (très) haut du panier, les plus beaux titres sont ceux qui renvoient aux sentiments d’intrication, à l’effleurage délicat, à des sensations duelles qu’on décrirait au jus de citron. Pour ne pas les soumettre au grand jour. Pour les garder au plus prêt de soi. Sans les toucher, ni même les voir. Juste savoir qu’elles sont là. Présentons donc plus particulièrement les titres qui s’élèvent tels des dialogues, entre des éléments intimement liés, même à distance.
Closing In, oeuvre de la pianiste Sophie Hutchings et du violoncelliste Peter Hollo, ses grappes de notes qui se délient puis se reserrent. Où les graciles silences rappellent qu’en leur coeur, il est recommandé de s’écouter. Où la caresse de la laine sur la corde vient souligner les sursauts d’un rêve qu’on voudrait réchauffer. Splendide. A en pleurer.
Vega, de Ben Lukas Boysen, sans piano mais qui larsène gravement, qui confirme qu’entre Orient et Occident, tous les matins du monde n’enlèvent rien à ce qui ne peut demeurer que lumineux entre deux êtres éloignés. Chiral, de Olan Mill, où tout se dilue, se dissout dans la lumière, mais où le goût de la caresse prend le dessus sur tout ce qui lâche prise. Lascaux de Strïe, Endymion’s Sleep de Marsen Jules, deux magnifiques titres autrement plus ambient. Où les rayons du spectre semblent fusionner pour échapper au voile et aux ambiguités. Où le renoncement prend le pas sur l’angoisse mais où tout redevient possible. Idem, mais avec un violon damné en plus, pour le superbe Hard Frost Fields de The Frozen Vaults.
Du côté des confirmations et des bonne surprises, la collaboration entre Ian Hawgood et The Green Kingdom vaut aussi son lot de louanges. Comme Orla Wren, qui même s’il ne parvient pas toujours à captiver sur la durée d’un long format, offre ici une très belle ôde à l’errance folk en canopée ambient.
Seuls les titres de Talvihorros (un peu trop ressemblant à ses nouveaux contours romantico-dépressifs) et de Kreng (dans un contre emploi qui a le mérite d’être surprenant) peuvent laisser un brin dubitatifs en fonction du contexte des écoutes.
Bien loin d’un simple et faussement apparent « all star game » ambient/classical, 15 Shades Of White est bien LA compilation majeure de l’année dernière. Il parait qu’il reste encore quelques exemplaires. Ne soyez pas trop patients pour prétendre à sa lumière.