Les années 201X signeraient-elles le grand renouveau de l’analogique dans la musique électronique ? Bien qu’elles aient toujours été présentes dans cette dernière, il semblerait que l’attrait pour les bécanes antiques et leurs sacrosaints borborygmes (TB303 et 808 en tête) connaisse une certaine résurgence. Evoquons pour ne citer qu’elles les sorties Kontra Musik – les prodigieuses productions de TM404 ou de Jonsson/Alter –, L.I.E.S., Restoration – Analogue Cops et leur live machines belliqueux –, She Works The Long Nights – Karenn, Trade aka Blawan & Surgeon en tête de liste – ou encore Border Community qui signe un magistral retour avec le dernier Holden etc. Bref, les preuves ne manquent pas mais doit-on pour autant jubiler ?
Oui sans doute mais aussi réjouissante soit-elle, cette résurgence est par ailleurs particulièrement propice à l’apparition d’une orthodoxie analogique foireuse, turista pandémique pour le coup bien contemporaine, « l’élitisation » ou « trendisation » de cette musique. Soit la propension maladive à créer ex nihilo et ce, de façon quasi instantanée, une « hype » autour de toute production électronique s’écartant des codes communs et réalisée à l’aide de claviers autonomes. Vous voyez de quoi je parle ? Vous savez, cette caste d’imbéciles anémiques qui refusent en bloc l’usage de tout software et ne jurent que par l’analogique. A ceux-là, je n’ai malheureusement rien d’autre à offrir qu’une grande bolée d’urine et ma plus sincère antipathie pour tout remède à leurs maux intestinaux.
Une fois ces précautions prises, ne vous méprenez pas, le but de cette chronique n’est absolument pas de nier le vif intérêt que peuvent susciter les passionnantes distorsions que produisent ces machines mais bien d’en identifier l’origine, la teneur. Un équilibre fragile. Oui, équilibre fragile car à l’heure actuelle créer la surprise à partir de transgressions / régressions analogiques – nommez-les comme bon vous semble – est un pari aventureux. Abdulla Rashim, l’impressionniste mutin, ne s’y est pas trompé. La première sortie sur son nouveau label – Northern Electronics – nommée Misantropen – LP fait partie de ces réussites inouïes qui sans se complaire dans un immobilisme loopé ou dans un sound design sans âme ni but, plonge l’auditeur dans l’obscurité la plus complète.
Varg, son auteur, est un jeune suédois qui agrémente son univers sonore, savant dosage d’Ambient, d’Acid et de Techno, d’une iconographie et d’un wording étonnamment proche du mouvement Black Metal – cf. le titre du LP ainsi que ses rares photos –. D’ailleurs, si nous souhaitions prolonger l’analogie, nous pourrions supputer que son nom est un hommage à Varg Vikernes, assassin et multi instrumentaliste de génie à l’origine du projet Burzum mais gardons cette petite théorie pour nous. Bref, tout cela fleure bon le Nord, le froid et l’ascèse.
Varg est un ascète, nul doute, son titre d’album le suggère, les innombrables recoins de ses compositions le hurlent, doucement toutefois. Astreint à une discipline rigoureuse et solitaire, l’ascète fuit sa propre finitude et en détaille la crainte – cf. Mount Analogue –. La discipline que privilégie Varg dans ce LP s’articule principalement autour de l’utilisation du 303, du 808 et de leur omnipotence. Les étendues gelées qu’il nous fait parcourir flambeau à la main ne connaissent aucune contrainte formelle – et non le 4×4 n’est ici que rarement la voie choisie pour mener l’expédition –. Malgré cela l’exactitude et le pointillisme sont de mise. Les percussions et rythmiques doctement émiettées de ci de là décrivent des motifs denses presque tribaux – cf. Norrländska Vemodet, Skoptsy ou encore Licwiglunga – sans jamais être tout à fait prépondérants. Non, ce qui régit ce bloc de glace et de conifères, ce sont les claviers analogiques et leur souveraineté d’acier.
Varg le Misanthrope, modèle sa musique dans un souffle lointain. Les nappes Ambient récurrentes – sans redite néanmoins – oscillent généralement dans des gammes mineures propres à l’expression de la langueur, de l’engourdissement – cf. Stambanan, Fimbulvetr –. Il en résulte un ressenti étrange, une sérénité hypothermique dont on ne se lasse pas, sans doute un des principaux atouts de ce LP. Cette sérénité presque palpable contraste nettement avec les tressaillements Acid et anxieux de certaines tracks citées précédemment, notamment Norrländska Vemodet sur laquelle le 303 est poussé et pousse l’auditeur jusqu’aux portes de la démence.
Ce contraste interne participe à la forte impression d’aboutissement que dégage l’album dans sa globalité. Elle est également sensible dans l’extrême soin apporté aux détails, aux interludes par exemple, toutes deux d’une profondeur insondable – cf. la mélancolie noire trichrome de Wizard Howling With The Silver Box ou bien le suave crescendo de Fimbulvetr –. Tout cela fait de l’écoute du LP une immersion aussi exhaustive que captivante. L’impression de déchiffrer la cartographie d’un pôle imaginaire où Techno, Acid, Ambient et Expérimentations sonores traceraient des tangentes infinies domine cette chimère.
Une chimère dans laquelle l’essence du son devient le flux, non plus la note d’une ponctualité précaire, mais son extrême étirement, sa lente agonie enfin – cf. Náströnd véritable chef d’œuvre –. Folie gnostique ou ode lunaire qu’importe, l’intérêt ici est ailleurs. Il réside dans la création d’un univers sonore atemporel par la seule force de l’ascèse et du culte de l’instrument. Il s’agit d’ériger, face à l’obsolescence mécanique, un havre de réclusion hors du temps, un mont que ni l’érosion ni les crocs n’altèrent, le Mont Analogue.