René Margraff n’est pas inconnu des supporters du label Home Normal (surtout de son petit frère Nomadic Kids Republic) puisqu’il y a posé des albums plus que recommandés avec son projet Pillowdiver. D’autres, tout à fait inspirés, se souviennent même peut-être de lui sous son avatar Ckid (définitivement interrompu en 2007). Il est accompagné au sein de Two People in a Room par Michelle Hughes. Les deux guitaristes aiment enregistrer leurs expérimentations sur cassette, avant de confier le boulot de post-production à des gens tout à fait qualifiés (Ian Hawgood, Fraser McGowan). Leur album éponyme avait l’année dernière (sur Home Normal, encore) connu un echo tout particulier. Le Endless Bummer dont il est aujourd’hui question était déjà en partie « écoutable » depuis un bail sur le soundcloud de René, dans une version brute mais qui révélait malgré tout un très haut niveau de qualité. Rural Colours (filiale d’Hibernate), coutumier des sorties « lumineuses » dans des packagings économiques toujours élégants, publie aujourd’hui l’édition limitée à 150 exemplaires. Ceux qui connaissent bien le label en question savent qu’il faut faire vite, la mention « sold out » arrivant régulièrement une semaine seulement après la sortie.
Le pied de nez, plus probablement l’hommage, au Endless Summer de Fennesz n’aura probablement pas échappé à l’esthète que tu es forcément, toi, lecteur, qui perd ton précieux temps à lire ces lignes. Sauf qu’il ne s’agit pas ici de l’illustration sonore d’un été sans fin, mais plutôt d’un « bad trip » si on en croit l’abrupte traduction du mot « Bummer ». Malgré le potentiel hautement évocateur de la photographie, les écoutes répétées trahiront le léger caractère excessif de cet intitulé, pour les habitués de ce genre de son bien entendu.
Le couple réalise ici une oeuvre magnifique, radicale et très ambivalente. Simplement armé de leurs six cordes, de pédales d’effets et de processeurs traitant les signaux. Kit idéal pour ce qui est de l’extension du son, la réverbération, du filtrage et de la spatialisation. Méthode simple mais difficile à exécuter, que certains pourront même qualifiée de classique. Décrire la « recette » ne suffira certes pas, pour ceux qui ne sauraient se satisfaire de chroniques courtes sans description à grand renfort d’images plus ou moins personnelles. Ceci surtout pour dire qu’il y a heureusement des gens pour qui l’électronique est plus un « moyen » d’entreprendre qu’un genre. La texture est donc sans surprise ici, résolument électrique.
Ce qui aurait aussi pu être baptisé Voyage au bout de la nuit, débute par un chef d’oeuvre, un trompe l’oeil faussement lugubre qui aurait pu augurer d’une oeuvre majoritairement régénérante. Horses In My Head, son terreau crépusculaire et magnétique, sa tension et ses regains tout en retenue ramassant les feuilles mortes à la pelle, avant un dernier salut au levant. Avant l’apologie, plus noire que la nuit, plus forte que le bruit, plus époumonante qu’une nouvelle mort à crédit.
Les lignes se croisent parfois. Traçant des traits d’union, des ponts entre deux rives, pour relier d’un château à l’autre des couches sonores improbables. La rencontre entre ce qui se déroulerait six pieds sous terre, et à fleur de sol. C’est probablement ça, que je qualifiais plus haut comme ambivalent. Ce goût de terre fertile et humide, associé aux sensations décharnées que connaissent les saisons blanches et sèches. La richesse et le dépouillement. Point ici de « violonades » transies, ni de déflagrations abrasives pour exprimer le cri. La collision des trajectoires se fait en silence, c’est sans doute ce qui la rend si radicale. Ce léger sursaut d’absence, à 6’26 sur I Like You, I Like You Very Much, précédant un troublant jeu de volume autour de ce qui pourrait être un ascenseur pour le casse-pipe (Invitation To Love), illustrera parfaitement le sentiment. Bagatelles pour un massacre, l’école des cadavres exquis tient trop bien son rang. Les rayons de lumière ne parviennent que peu souvent, à percer les intrigues d’alcôve qu’on tisse parfois errant. Sur le pont de Londres, ou ailleurs, là où la noirceur frappe aux tripes et au coeur. Et il y a ce vent, glacial et violent. Celui de Swimming Pool 1969, qui pendant plus de onze minutes prend le dessus sur l’auditeur. Diffuse saumure, chaux et électrolyse les dernières neiges recouvrant le théâtre de mes peurs. Celle d’en réchapper. Car dormir c’est mourir. Mieux vaut ne pas se coucher, nous n’aurons pas à nous relever. De ces beaux draps là, noirs et épais, qui savent que les régulières et classiques postures de la sombritude n’ont que trop peu connu le jais.
Après les déjà plus que recommandables oeuvres de Hakobune et Wil Bolton (chroniquées dans nos lignes), Rural Colours publie ici probablement une des plus belles releases de son catalogue. Même si là, la féerie sera pour une autre fois. 9 livres pour un trésor, y a Destouches qui valent bien le Mordor.