En Novembre 1972, un groupe d’étudiants du MIT décide, sans fondement aucun, de balancer un piano du haut d’un immeuble, dans l’unique optique de pouvoir « voir ». Les clichés et les vidéos se chargent d’immortaliser ce non-évènement radicalement spontané.
Des décennies plus tard, Tim Hecker se retrouve avec une simple photo de cette action entre les mains. L’instantané figeant le temps pour l’immortalité réveille alors le compositeur. L’idée de création sonore, de mobilité, s’installe à partir d’un déséquilibre suranné.
Le lecteur connaisseur de Tim Hecker ne peut en aucun cas s’étonner d’une telle démarche de sa part. Le Canadien a toujours eu besoin d’une révélation pour aboutir à la conception. Lui, le doctorant enseignant la « sound culture » à des universitaires cadrés, a besoin de s’émanciper à travers sa propre musique. Son Salut passe par l’élaboration de cathédrales ambients autant opaques qu’immersives. Sa musique n’a jamais eu pour vocation de satisfaire nos acquis mais plutôt de nous questionner sur la notion d’abstraction.
Ravedeath, 1972 ne se décortique pas, Ravedeath, 1972 se vit. Tout est bloc pour mieux brouiller les pistes. Celui qui viendra chercher une musique balisée, ne trouvera qu’un dédale insondable. Le maelström sonore de Ravedeath, 1972 n’est qu’un prétexte à l’implication physique de l’auditeur. Ecouter l’album, avec un niveau sonore vous rendant presque sourd, devient alors un lent voyage réclamant une puissante implication physique. Derrière le mur sonore, quelques notes tentent de percer. On est sûr de les avoir déjà entendues, mais quand ? Les bruits se croisent, la matière sonore devient alors cet espace du possible où chaque blanc devient une énigme et où le temps ne vous appartient plus.
En enregistrant son album dans une église islandaise, en compagnie de Ben Frost, Tim Hecker a implicitement joué la carte de l’immersion absolue. On est enveloppé par cet orgue vaporeux, semblant surgir d’un brouillard insondable. Tout fonctionne sur cette ambivalence voulant imposer une tempête lénifiante. On se prend alors à errer à travers les sons, à supprimer toute évaluation du temps. Pendant 50 minutes, on vit totalement à travers cette musique.
Ravedeath, 1972 est un album rare, une abstraction absolue aux multiples portes d’entrées et dont chaque écoute vous place dans un état jusque là inconnu. Sortir de l’album devient alors un défi, comme si tout s’était modulé autour de vous.
Finalement, l’idée de laisser un piano tomber depuis un immeuble devient bien plus qu’une simple performance au fort potentiel visuel artistique. Les étudiants du MIT l’ont bien compris et depuis 1972, chaque année, ils réitèrent l’opération. Comme si la répétition codifiée d’un geste symbolique allait leur permettre de retrouver ce déséquilibre passé. Tim Hecker est un observateur avisé. Son Ravedeath, 1972 n’est rien d’autre qu’une tentative de définir l’instabilité parfaite. Son allégorie touchant à la perfection.