Comme son nom ne l’indique pas, The Green Kingdom vient de Detroit. Si celui qui se nomme dans la vraie vie Michael Cottone a commencé à faire de la musique il y a déjà un petit bout de temps, il profite cette année d’une visibilité et d’un succès tout particulier. (On retiendra plus aisément son Twig & Twine de 2009 (Own Records) ainsi que ses apparition sur le label français SEM en 2007). Après un merveilleux album court (Egress) sorti chez Nomadic Kids Republic, le voici rejoignant le rare mais excellent label de M. Ostermeier : Tench, à qui ont doit déjà en 2012 le sublime Collected Dust de Marcus Fischer. Il y a des maisons comme ça, chez qui la qualité du design, du mix et du mastering n’a rien à envier aux références que sont Room 40 ou 12k. Incidental Music est un album sorti à la fin de l’été, mais profite des premières caresses hivernales pour se rappeler à notre bon souvenir. Allume donc un feu l’ami avant d’appuyer sur play, rends hommage à ces bûches qui devant toi flamboient. Tu peux désormais retourner à la clairière, où naquit le combustible qui t’apportera ce soir autant de joie.
Autant le dire tout de suite, Incidental Music est probablement l’album le plus relaxant entendu cette année. Micheal Cottone est toujours étonné qu’on qualifie sa musique de drone/ambient. Tout en faisant de même, j’avoue pouvoir envisager sa circonspection. Le luxuriance de cet album doit autant à ses aspects résolument folk, qu’aux modulations de ses traits plus ou moins épais. La catégorisation, est donc une fois encore, un cache misère sans nom.
Ceux qui savent reconnaître l’esthète derrière la limpidité du mix, trouveront en cet album ce qu’ils ont cherché depuis longtemps. Il n’est ici question que de pureté. Pas un vulgaire essai lo-fi pour amateurs de sérénades folks transies. Incidental Music n’est pas habité de ces traits de caractères naïfs et candides, qui gangrènent les éculées productions chevelues et les bacs indie. Ces neufs titres sont autant de relais, pour aller tâter du pouls des grandes futaies. Permettent d’être le témoin muet, des tribulations internes et saisonnières de sylves centenaires. Je t’imagine sceptique, lecteur, planqué derrière ton ordinateur. Mais sache que tu n’auras point de regret. Ne résiste pas plus longtemps à l’appel de la forêt.
The Green Kingdom est probablement allé puiser ses captures sonores de pleine nature à la période des frimas. Quand nul promeneur à part lui, ne laissera trace organique de son passage. Pour s’imprégner de la sérénité des lieux. Et surtout en illustrer l’esprit de quiétude, le silencieux mais certain bouleversement intérieur. Les différentes thématiques interviennent avant tout pour évoquer les cycles. De l’opacité brumaire il crée un océan de textures, capte sous le manteau blanc de dame nature, ce qui par la suite libérera la verdure.
On jurerait, même après pléthore d’écoutes, trouver l’empreinte d’un glitch fugace, d’un aspect pulsatil, propice à l’appellation d’origine peu contrôlée folktronica. Il n’en est rien. Même après avoir bien cherché, je ne trouve que peu de traces du classique glockenspiel, cet instrument étrange et pénétrant qui intervient régulièrement dans ce genre de sons. Celui qui avait fait du Hintergarten d’Hannu ( sorti en 2009 sur le label Kesh de Simon Scott) un trésor inconnu du genre. Les hypnotiques arpèges de la guitare se suffisent à eux même, malgré les très inspirées et furtives apparitions de violons (pas si sûrs…), violoncelles (surtout sur le sublime Whispered Through Pines de fermeture) et kalimba. Il règne ici un tel équilibre, entre les hauts mediums et les graves surtout, que tout ce qui s’échappe en dehors des guitares paraît complètement surnaturel. Comme sur Over Tree Tops, où on jurerait entendre la clairière murmurer des histoires d’accalmie, ce qu’on raconte à l’enfant qu’on voudrait voir en paix et endormi. Il y a ce « tintinnabuli » quasi permanent, qui inspire la pose de lustres en cristal d’arques sur les branches égratignées par les vents. Autant de sages bouleversements, de convulsions lentes et atmosphériques sur les mats d’un monde soupirant. Citons alors l’élargissement des drones majoritaires en Floating Theme, ou les aspérités friables sur Rshda, pour souligner ce qui flatte l’oreille et se révèle propice à l’émerveillement.
Incidental Music fait partie de ces albums rares. De ceux qui rassurent tous les matins du monde où règne l’hiver, et ses effluves de dépression saisonnière. Il sera l’idéal compagnon des âmes solitaires, qui maudiront très bientôt Noël et son père.