Dix, c’est à l’origine le maigre nombre d’exemplaires faits mains d’un album qui a vu le jour en 2010. Enrichi, retravaillé, et remasterisé par Lawrence English, New Music From the Delta Quadrant a trouvé une seconde naissance au sein du berceau Hibernate fin 2012. Entre-temps, Ithaca Trio s’est accordé une collaboration avec Machinefabriek, Par Avion. Il faut savoir qu’Ithaca Trio n’est pas un trio, ni un projet solo. C’est un collectif. Mais derrière ce projet, il y a surtout un homme : l’anglais Oliver Thurley.
New Music From the Delta Quadrant n’apporte pas de véritable surprise quant aux éléments qui le composent. Album à la dominante ambient, on y croise ainsi un piano, des cordes, une guitare sèche, des drones, des field recordings, de l’électronique ou encore des voix –ça, par contre, c’est déjà un fait plus rare. Mais ce qui s’impose surtout à l’écoute de ce disque, c’est son pouvoir d’enveloppement progressif dans des boucles méticuleusement travaillées.
Car ici tout se boucle. Rondes de chœurs féminins (Fluidic Space), spirales de guitare acoustique (Wolf √359), cycles d’électronique (Regeneration). Ce sont ces mêmes rondes, ces mêmes spirales et ces mêmes cycles qui usent, érodent et craquèlent de l’intérieur les amoncellements de nerfs à vif. New Music From the Delta Quadrant est une musique de tensions qui capitulent, et de respiration qui cicatrise. Une remise en mouvement, sur les lambeaux diffus de l’inquiétude.
Regeneration, titre magnétique où l’électronique est le plus présent sur l’album, vient s’étirer sur une quinzaine de minutes. Les premiers accords de guitare et les chants d’oiseaux sombrent progressivement dans les rotations envoûtantes de l’électronique. Oliver Thursley manipule subtilement ses boucles, les irrigue de brèves apparitions de field recordings. Au gré des douces accélérations et décélérations, les ondes sonores se liquéfient et nous maintiennent dans un engourdissement heureux. On perd le fil, et c’est tant mieux.
Sur My Mind To Your Mind, les circonvolutions du piano se mettent lentement en place, pour peu à peu s’estomper derrière les nappes nourries de captations sonores. Des voix lointaines, des bruits métalliques, des choses qui claquent, qui se referment, des bruits de pas sur le gravier. On finit par oublier la présence antérieure du piano. C’est un jeu d’éclipse qui se trame dans cet album. Ithaca Trio s’empare des sonorités, les fait tourner sur elles-mêmes, occultant progressivement le mouvement de l’une par celui d’une autre, modifiant leur vitesse ou les déplaçant à notre insu. Plus encore que notre esprit, ce sont tous nos tissus que cet album parvient à absorber.