Takahiro Mukai compose de la musique comme si son existence toute entière se trouvait résumée dans cet unique fait. Pourquoi une telle assertion ? Tout d’abord, parce que sa pratique s’étale sur plus de 20 ans. Ensuite, grâce à une découverte due au hasard sur Soundcloud et alors que des supports physiques n’étaient pas encore disponibles, il était frappant de constater la régularité quasi quotidienne de mise en ligne de ses démos. C’était début 2014 et depuis, les faits n’ont pas démenti cette activité métronomique. Car enfin, la même année, la production se matérialise durablement grâce à différents labels pour atteindre, avec la sortie dont il est question ici, le chiffre pléthorique de 20 albums.
Le format est toujours le même : la cassette. Quant à l’identité musicale, elle est installée depuis le début : le goût pour les sons technos 90’s filtrés, rugueux, efficaces. Une masse lancinante construite en mille-feuilles qui hypnotise et demeure entêtante. Sand Container reste dans cette veine « hard machines ». En atteste « 9015 » qui déploie ses basses enchevêtrées et aliénantes en un entrelacs filtré qui l’apparente à un édifice bétonné capable de s’emparer du moindre mouvement. Une même école que des gens comme C_C ou 6 RME pour ne citer qu’eux.
Là réside le sillon établi duquel le Japonais d’Osaka ne déroge pas. Toutefois, il ne s’agit désormais pour lui que d’un point de départ, un canevas dont la trame s’éclaircit et sur lequel il assemble des éléments plus subtils. La perspective change pour se faire plus lumineuse. Quittant l’ombre que projette le monumental, l’album entre progressivement dans un espace dégagé, parsemé de points d’ancrage pointillistes, dans lequel domine une clarté aiguë. La bascule s’effectue avec « 9018 » et se poursuit avec « 9008 ». Des mélodies lorgnant plus vers l’électroacoustique développent une ambiance minérale et aquatique. Une délicatesse féminine s’impose tout en ne cédant pas à la niaiserie.
À ce stade, c’est donc un paysage plus vaste, complexe, alternant enfermement et libération qui se déploie. Puis, l’anxiété potentiellement créée par le jalon originel rejoint l’éther généré par les éléments épars progressivement agglomérés. « 9010 » nous entraîne dans un univers de bande-originale des années 70. Si l’on pouvait attribuer un film à ce morceau, ce serait indéniablement The Andromeda Strain de Robert Wise. S’il y a bien une utilité dans la Music Library, c’est lorsque son influence permet à un musicien d’élargir son horizon de composition et non de se positionner en suiveur scrupuleux. Gagner en ampleur et non sacrifier sa créativité sur l’autel de la révérence.
Takahiro Mukai parvient à conserver d’indispensables fondamentaux tout en enrichissant le spectre de ses compositions via l’exploration des genres et techniques. Les expérimentations finales en attestent. Un résultat alliant richesse et cohérence qui ravit. L’incarnation dans la musique existe lorsque celle-ci reflète les différentes strates d’une même personnalité.
très fascinante description de ce travail ! qu’il ne me reste plus qu’à … écouter !