Inutile de tourner autour du pot au feu, Surgeon est une légende. Tant et tellement qu’on peut aisément le hisser comme fer de lance de ce qui fut le son de Birmingham. Au milieu des années 90, le dandy chic britannique impressionne dans sa maîtrise du hardware et dans son utilisation des synthés en général, se tisse une empreinte reconnaissable entre mille autres : « Raw », chirurgicale et futuriste, avec un marquage bien spécifique sur les synthés. Inutile donc de citer aujourd’hui ses albums et EP références, ainsi que la direction radicale qu’il imposa à son propre label : Dynamic Tension. Jusqu’à l’aurée des années 00, les plus intrépides pourront même parler de parcours sans faute.
Seulement voilà, la techno ne lui suffit pas. L’anglais répond donc légitimement aux sirènes de l’expérimentation intrinsèque, en collaborant tout d’abord avec le guitariste Andrew Read et en se focalisant de plus en plus sur le traitement des signaux et sur les ambiances. L’ancien dandy se pare peu à peu d’un look mi-geek mi-hipstos, anecdote qui ne devrait pas être mentionnée si elle ne coïncidait pas avec son adhésion pure et simple au phénomène du modulaire. Les critiques, des « pros » et des fans, demeurent dithyrambiques, citant même parfois son album Breaking the Frame (2013), pourtant très « ambient », comme un de ses projets les plus aboutis et avant-gardistes. Ses projets live titannesques, presque semblables à des installations, attirent et fédèrent des deux côtés de la ligne. Même son bien nommé et remarquable Electronic Recordings From Maui Jungle Vol 1, hébergé par les très sérieuses Editions Mego, avait été accueilli avec les honneurs malgré une émulation étrangement confidentielle au moment de sa sortie.
Après avoir durablement laissé de côté la techno, From Farthest Known Objects sortait en grande pompe il y a quelques semaines, affolant les nostalgiques de sa période binaire.
Annoncé par Surgeon lui même comme un concentré de pop tunes du futur concoctées avec un matériel impopulaire, From Farthest Known Objects se devait d’être à la hauteur de ses très hautes ambitions, et de l’exercice toujours très compliqué que demeure le long format techno. Il est malheureusement l’exemple type du coup d’épée dans l’eau.
Certains de mes confrères émérites sont même allés jusqu’à le qualifier d’album digne d’un fainéant, cependant toujours prompt à se caresser derrière son TR-909. Si l’on s’impose comme sérieux et nuancé, il convient d’énoncer que là n’est pas le problème.
Comme toujours avec le chirurgien, la production est plus que sérieuse et toute l’originalité du projet, outre son ostensible revival 90’s, est d’avoir remplacé les classiques éléments percussifs par de très belles sonorités métalliques en collision. Il y a même de furtifs moments où, de cas amas de tôle et de ces schémas répétitifs destructeurs, vient transpirer quelque chose de résolument hédoniste. La performance s’arrête là.
Dès le premier titre, intitulé comme tous les autres tel un algèbre abscons, on comprend que Surgeon nous a livré un album inspiré par ses premiers succès, sans doute très amusant et ludique à composer, mais très fatiguant et ennuyeux à écouter. L’intérêt d’avoir greffé ses velleités modulaires à cet album particulièrement attendu et aussi ambitieux pose donc plus que jamais question. Malgré son côté bêtement et méchamment efficace et ses très opportunistes prétentions (les deux titres finaux), From Farthest Known Objects résonne « flat » et peine à se distinguer de la masse de sorties anecdotiques qui pullulent dans le genre. Deux ou trois titres contiennent de bonne idées, malheureusement peu poussées. Seuls les très qualitatifs SXDF-NB1006-2 et BDF-3299 devraient parvenir à trouver leur place dans des milieux de sets inspirés.
Outre sa teneur purement anecdotique, From Farthest Known Objects annonce malgré lui quelque chose de beaucoup plus symbolique. L’ère des Djs producteurs hier starisés est belle et bien terminée. Seuls les footix techno avides de palanquées de kicks pour rentabiliser leur para devraient y trouver leur compte. Les autres, savent bien que le futur est ailleurs.