Parmi le monticule d’artistes présenté(e)s dans ces lignes, Iden Reinhart fait partie de celles et ceux qui ont un jour compris que l’exposition pouvait s’apparenter à une certaine forme de perte. La légende ne dit pas si c’est ce qui la fit renoncer à son illustre et furtive carrière d’actrice, ni si c’est ce qui l’a poussée à mener une vie de presque recluse, à l’abri du tumulte dans un lieu connu d’elle seule. Certains auront remarqué ses collaborations avec Greg Haines, ou même sa participation au projet The Alvaret Ensemble aux côtés des frères Kleefstra. Toujours est-il que l’artiste ne s’expose plus aujourd’hui que drapée derrière son avatar Strië. Elle rejoint depuis peu les rangs du label gallois Serein, qui compte en son sein des albums rares et précieux, comme Charcoal de Brambles ou Retold de Nest. Mais avant d’évoquer l’énigme du jour, vous me pardonnerez je l’espère de raviver quelques braises, aussi, pour rappeler ô combien Õhtul était un chef d’oeuvre à bien des égards. Dans ses embardées de cordes ou dans ses tréfonds cauchemardesques, il fait partie de ces disques qu’on ne convoque que le soir venu, pour embrasser ces propres fantômes, ceux qu’on ne sait jamais vaincus.
Dire que j’attendais Struktura presque comme un messie est un euphémisme. Pour prolonger la transe, peut-être devenons nous des groupies imbéciles attendant une pure et simple suite à un album qui nous avait emmenés si loin. J’ai donc mis du temps à me laisser pénétrer par ce nouvel essai, probablement parce que l’empreinte du laptop y est particulièrement affirmée, parce que ses contours sont à fortiori sensiblement plus « électroniques », et aussi parce que c’est celui qui révèle Strië en véritable plasticienne/sculpteuse sonore.
Ôde à une certaine forme d’abstraction picturale et distribuant quelques clins d’oeil à la musique concrète, Struktura se veut sans doute ironique jusque dans son intitulé. Ses courbes sont bien trop friables et vaporeuses pour prétendre au saisissable, mais de celles qu’on cherche pourtant à retenir pour mieux les honorer. Comme des éloges de la fuite et du volatile, elles appâtent l’auditeur comme un chasseur de papillons de nuit.
Cet album inscrit également en faux les théories obsolètes et fumeuses qui voudraient faire de l’ambient une musique qui pousse à l’écoute en dilettante. Ici, chaque intrication sensible de sons ou de matière, chaque apparition de crins ou de piano invitent au sursaut, dans un confort opaque où les doutes toisent et les vies dansent.
Il est donc inutile de revenir trop longuement sur tout le potentiel sensuel d’Untitled 1956, sur les climats éthérés de The Steamer Odin, sur tout ce qui poussent à se lover à la longue dans les faux plis de Chance and Order,et à se réjouir des expérimentations jamais vaines de Vogel Wolke. Signalons malgré tout pour finir deux titres tout aussi insaisissables mais bien plus surprenants dans leurs capacité à suggérer la fausse piste : Foxes,et ses pulsations clairement binaires, ainsi que le titre de clôture, qui convoque même des effusions vocales de cathédrale pour jumeler le mystère au mysticisme. Du grand art.
Bien que très différent et bien plus difficile d’accès que son prédécesseur, Struktura n’en sera pas moins impressionnant pour qui acceptera de dépasser ses bordures et de s’y perdre. Peut-être même pour y trouver une certaine forme de vérité intemporelle : l’absolu n’existe pas, seul le regard qu’on lui porte l’inscrit dans le réel.