Collaborateur régulier du Théâtre National Grec, Stavros Gasparatos est surtout connu de ceux qui le connaissent, et pour avoir accompagné musicalement tous les différents mais complémentaires éléments du spectacle vivant. En plus d’avoir eu la chance de se produire dans le magnifique cadre qu’offre le site d’Epidaure, le musicien grec a eu l’occasion de démontrer ses talents dans divers pays d’Europe. Certains de ses travaux conçus pour la danse ou le théatre ont été réunis sur le disque Rehearsals, sorti confidentiellement en 2008 sur le label grec Creative Space Records cher à l’artiste Spyweirdos. On ne doute pas un instant que son compatriote Mobthrow (qui réalise ici le mastering) a sans doute participé à l’unir aujourd’hui au label berlinois Ad Noiseam, toujours dirigé par le français Nicolas Chevreux.
Le regain d’intérêt que connait le renouveau classique n’est pas la mauvaise nouvelle qu’on tente ici et là de nous vendre. Comme pour le jazz et pour les autres musiques composées par les petits rats du conservatoire, les puristes crient à la sacrosainte tentative de vulgarisation. On ne saurait leur donner complètement tort, tant certains jeunes et jolis marquis du genre (qu’on ne nommera pas puisque vous les connaissez) se contentent actuellement d’offrir une caution mélomane à des hipsters qui ne la méritent pas forcément.
Plutôt que de crier à l’opportunisme compulsif, réjouissons-nous que certains acteurs aient le regard tourné vers l’évolution (plus que vers l’avenir) sans trop regarder derrière eux, tout en ne sombrant pas dans l’emphase permanente, le tout gratuitement emo et certains lieux communs qui ne suffisent heureusement plus à assurer un buzz ou quelques ventes. Même si c’est tout sauf une fraîche et neuve tentative, la fusion entre l’électronique et la musique classique va inévitablement devenir dans un futur très proche un « genre » particulièrement choyé. Accueillons comme il se doit l’album dont il est aujourd’hui question, puisqu’il se situe à des années lumière d’un quelconque opportunisme, de la posture galvaudée, de la hype et de ses agitations.
Consacrer une oeuvre phonographique aux sept péchés capitaux comportent de nombreux risques. Basculer dans le déjà entendu ou dans le péplum suranné, sculpter ses propres matières pour se réclamer ensuite d’un art archaïque, trop (ou pas assez) se salir. Sans verser dans l’analyse digne du café du commerce, on peut présager sans crainte sur le fait que Stavros Gasparatos est un musicien compositeur accompli, adulte et intelligent. Qui sait que ce n’est pas notre intégrité radicale qui fait de nous des êtres humains faillibles mais bien nos contradictions, nos tendances aux vices, nos travers et donc notre capacité à être à la fois victimes et bourreaux. C’est sans doute pour ça qu’il affiche une vision humaine, presque romantique, chaleureuse et compréhensive des sept péchés capitaux. Avec force, prudence, justesse et tempérance comme principales vertus.
Bien que définitivement orchestral, Seven puise toute sa qualité dans son habileté à alterner entre un semblant de beat et des patterns de drums extrêmement bien choisies. Dans sa capacité à aussi ne rien faire intervenir au hasard mais avec parcimonie, pour jamais ne sonner simplement joli. Chaque instrument (saxophone, piano, violon, guitare, violoncelle, vibraphone…), naturel évidemment, s’impose avec force tranquille et fluidité dans le plan. Avec une accessibilité surprenante, surtout dans l’utilisation de l’électronique, le gars expérimente vraiment. Mais pas pour démontrer l’étendue de ses talents. Un équilbre chatoyant s’exerce entre les souffles inquisiteurs et les caresses rassurantes. Il semble savoir, connaissance sans doute héritée du spectacle vivant, que pour que la narration soit belle et salutaire, les différents éléments d’illustration doivent se suffir à eux même et ne jamais être noyés sous un arsenal technique.
Même si ma préférence ira vers des pièces telles que Pride, Falling – Greed ou Hell Gluttony, où les différentes textures, les contrastes et la liberté de composition font péter les entraves du dogme, l’impressionnant soin apporté à la production et la virtuosité des différents intervenants font de l’ensemble une réussite plus que bienvenue. Un album exigeant, à destination d’un auditoire qui l’est tout autant et qui sait que certains albums ne subissent pas l’outrage du temps. Un disque de chevet pour les chasseurs des toiles impénétrables, pour les pêcheurs volontaires qu’on ne poussera pas à l’amer.