« Les villes, que nous habitons, sont les écoles de la mort, parce qu’elles sont inhumaines. Chacune est devenue le carrefour de la rumeur et du relent, chacune devenant un chaos d’édifices, où nous nous entassons par millions, en perdant nos raisons de vivre. » Albert Caraco
Cela faisait déjà un certain temps que l’on guettait le duo allemand SNTS, faute de temps, de tout, de cran, nous n’avions pas eu l’occasion de vous parler du potentiel des deux éminences grises. Revendiquant sans détour leur loyauté somme toute assez classique aux sorties vinyl only et au sacro-saint anonymat, le duo aurait pu n’être qu’un rejeton consciencieusement xeroxé de la mouvance Techno des année 201X. Il y a d’ailleurs bien longtemps que cette dernière a cessé de recenser ce genre de formations à l’orthodoxie grisonnante voire franchement sénescente, néanmoins l’analogie avec toute autre entité Techno masquée s’arrête ici même. Non, détrompez-vous, nous ne sommes pas venus ici pour pester contre l’ennui ou même deviser sur l’uniformisation des visuels Techno barillet à la commissure, non. En réalité, il s’agirait même plutôt du contraire, puisque malgré une appropriation relativement primaire des « codes » Techno, le duo semble ne craindre aucun superlatif lorsqu’il s’agit d’évoquer ses productions.
Sorti en 2012 sur leur label éponyme – SNTS – inauguré pour l’occasion, Chapter I, EP Techno de marksmen, avait été l’occasion de poser le canevas sur lequel les deux malfrats broderaient par la suite la trame de chacune de leurs sorties, à savoir un soin tout particulier apporté au sound design, un penchant plus qu’appréciable pour le crossover Dark Ambient \ Techno ainsi qu’un attrait certain pour les motifs 3×3, 3×4 et autres hybrides du 4×4 – cf. S2, S6, B1 etc. –. En effet, si vous prêtez une oreille attentive, vous remarquerez qu’il existe une architecture semblable – à quelques exceptions près, restons souples – à l’ensemble des sorties du duo, architecture qui contribue par ailleurs à l’intérêt tout particulier que nous leur portons. Cette dernière est généralement caractérisée par une dialectique commune, une introduction Dark Ambient généreusement imbibée d’hydrocarbures, un hybride 3×3, 3×4 et enfin un ou deux punchers quatre roues motrices dans la lignée Dark Ambient \ Techno urbaine mais nous aurons tout le temps de revenir sur cette thématique plus en aval. Intéressons-nous donc à la dernière sortie du label éponyme des deux dramaturges, sortie intitulée Scene I.
Ce qui suscite tout d’abord notre intérêt pour SNTS, outre l’aboutissement et la singulière densité de leurs productions – de Chapter I à Scene I en passant par leur brillant EP sur Horizontal Ground, 16ème du nom –, c’est tout d’abord la capacité des deux Méphistos en hoodies Carhartt à s’approprier les codes Ambient \ Techno pour mieux les détourner, leur capacité à ne pas naïvement succomber aux ambiances sylvestres ou aquatiques, thématiques qui, bien que souvent adroitement exploitées – notamment par nos amis nordiques ou italiens –, commencent à s’essouffler ou plus précisément à nous essouffler. Ce qui distingue leurs excursions, beatées ou non d’ailleurs, ce sont leurs sonorités résolument urbaines. En premier lieu, la perspective entravée par l’omniprésente verticalité, encrassée aux particules fines – cf. Intro II –, l’incessant bouillonnement, l’hégémonie de la vitesse, du mouvement perpétuel, de l’hyperactivité – cf. N1, décharge spinale immédiate, antithèse filée entre pureté ambiante et rugosité percussive –, puis le vertige de l’horizontalité, aveu d’impuissance susurré, rage contemporaine sous jacente – cf. N3, le fameux coup de poing Ambient / Techno adressé à la trachée – et enfin, la lente agonie du silence, retiré dans quelque modeste pavillon de la périphérie – cf. N2. Oui, car ne l’oublions pas, ce qu’incarne et célèbre l’espace urbain c’est l’avènement du bruit, sa victoire sur la quiétude.
Bien que Scene I soit une excellente synthèse de l’évolution des productions de nos amis bouffeurs de voyelles, on notera tout de même un léger bémol, notamment l’influence un peu trop sensible de Kerridge sur N2. Pour le reste, le duo nous guide sans encombre dans la pénombre, à travers les ruelles et détours crasseux, boulevards et avenues bondées, aux confins d’un Urbanisme Noir et pernicieux avec pour seul jalon le crachat des réverbères.
J’ai parfois l’impression d’entendre du Clan of Xymox de l’époque 1985-87 ; pas vous ?