Bien qu’ayant initialement reçu une formation classique, le pianiste australien Simon James Phillips se détache rapidement du carcan rigide de ces compositions pour se diriger vers une approche plus libre et expérimentale. Il fonde ainsi en 2008 le duo Pedal avec Chris Abrahams, autre pianiste australien, qui fait aussi partie du groupe culte The Necks (auteurs du récent coup de maître, Open). Désormais basé à Berlin depuis plusieurs années, il est membre de l’ensemble The Splitter Orchester, collectif d’improvisation de 24 musiciens berlinois. Il forme également The Swifter avec le grandiose batteur Andrea Belfi, habitué de chez Room40 et de Miasmah (au sein du trio B/B/S/), ainsi qu’avec le non moins réputé BJ Nilsen, officiant sur le très exigeant label anglais Touch. Leur excellent album éponyme sorti en 2012 chez The Wormhole confirmait alors tout le bien que l’on pensait du pianiste australien. La sortie de son premier album solo Chair chez Room40 quelques jours après le très bel The Unintentional Sea de Rafael Anton Irisarri, était donc assez attendue.
2008 voit donc la sortie du premier essai de Pedal chez Staubgold. Une heure de piano improvisé à 4 mains, à la sensibilité folle. Un de ces rares albums qui vous rappellent que ce genre d’exercice peut ne pas être synonyme d’ennui, et qui laissait déjà entrevoir toute la créativité et le potentiel de Simon James Phillips. Il continue de s’aventurer en terre expérimentale au sein de The Swifter, trio d’exception qui puise autant ses influences dans le free-jazz que dans la musique minimaliste ou électronique, où son jeu au piano, amplifié par les manipulations électroniques de Nilsen, revêt une aura sonore étincelante.
Sur Chair, force est de constater que, même seul, l’envoûtement persiste. Repoussant ainsi toujours davantage les limitations techniques de son instrument, il a voulu capter les conditions d’écoute propres à un environnement extrêmement résonnant. L’album a été enregistré dans l’église de Grunewald à Berlin où divers micros ont été disposés par l’ingénieur du son Mattef Kuhlmey : deux micros à proximité des marteaux, un autre quelques mètres devant le piano, deux à l’arrière de l’instrument, un au fond de l’église, et enfin deux au niveau du balcon surplombant le piano — le but étant de restituer aussi fidèlement que possible le son du piano et sa réverbération dans ce lieu.
Alternant morceaux denses avec d’autres plus aérés — et plus courts —, le pianiste exploite tout l’espace offert à lui pour brouiller nos perceptions. Des vagues de notes envahissent ainsi l’église, sans vouloir s’éteindre et quitter ce torrent incessant, irradiant ce lieu saint et nos sens d’un flux hypnotique et continu (les splendides Set Ikon Set Remit, Ellipsis, The Voice Imitator et Poul). Le flot est tel que l’on serait porté à croire qu’un traitement électronique se serait immiscé subtilement dans ses compositions, alors qu’il ne s’agit que d’une utilisation des pédales una corda et forte du piano, dont l’effet est amplifié par l’acoustique propice de l’endroit. À l’inverse, lorsque la densité de notes faiblit sensiblement, le pianiste joue alors autant sur l’écho que sur le silence, étirant chaque note de sorte que l’on guette attentivement la suivante avec envie (Posture, 9er On/Off Switch et Moth to Taper).
Rares sont les albums de piano dans ce registre qui arrivent à happer l’auditeur sans faillir. Avec Chair, Simon James Phillips nous livre une expérience singulière, gagnant en profondeur, en contraste et en richesse à chaque nouvelle immersion. Ceux qui seront touchés par cet album peuvent d’avance saliver, Entr’acte vient de sortir un live — tout aussi recommandable — de The Swifter, intitulé Live at Maria Matos (où ils sont accompagnés de l’organiste David Maranha), et un second album est sur le point d’être fini.