« La terre immense se déverse, et rien n’est perdu. À la déchirure dans le ciel, l’épaisseur du sol. J’anime le lien des routes. »(Du Bouchet)
Après les réussites de Jerusalem In My Heart et de Colin Stetson, le label canadien Constellation sort aujourd’hui l’album de Saltland, derrière lequel se trouve la violoncelliste Rebecca Foon. Cette dernière est loin d’être une nouvelle venue sur le label, puisqu’elle est également membre de Thee Silver Mt. Zion et du collectif Esmerine. Celle qui a déjà partagé l’affiche avec Julia Kent revient ainsi avec un projet personnel d’une rare élégance.
I Thought It Was Us But It Was All Of Us est un album brodé sur le fil ténu mais passionnant des rencontres, accueillant les participations de multiples musiciens allant de Colin Stetson à Sarah Neufeld. La présence de Jamie Thompson vient quant à elle revêtir l’ensemble d’un brillant tissage de percussions et de manipulations électroniques, faisant reculer cet album dans les marges des genres.
Un disque qui compte autant d’artistes dans ses invités prend bien souvent le risque de perdre son unité à travers des titres disparates, éteignant une présence pour en faire ressortir une autre. Ici, au contraire, tous se mêlent au flux insufflé par la voix et le violoncelle de Rebecca Foon dans une harmonie audacieuse. La voix elle-même ne prend jamais le dessus sur les cordes, et souligne cet équilibre atteint contre les flancs de la douceur.
Le chant de la canadienne est baigné d’une délicatesse diaphane et dépouillée, et surgit de l’aridité des paysages. Aux antipodes du leurre, sans ornements, sa voix avance à pas feutrés dans des gravats de sel ou de béton, dérobant la sécheresse et la précarité des sols pour en extraire la matière première des rêves.
Jamie Thompson travaille à même les cordes du violoncelle. Il texture, et densifie. Les percussions, elles, creusent la profondeur du chemin tracé. Parfois le rythme s’envole, comme sur le final de Golden Alley, ou plus encore sur I Thought It Was Us, véritable joyau d’ivresse déchirante auquel participe Colin Stetson. Nostalgie, enchantement, et lucidité des regards se posent sur le monde dans une légèreté vaporeuse.
Les morceaux de Saltland savent les ravages du temps et les douleurs de vivre. Mais ils savent aussi célébrer la nécessité du cheminement et de l’émerveillement. De ces échanges phosphorescents entre les êtres où résiste la seule force qui vaille.