Saåad est à la base un projet drone/ambient dont la paternité est à mettre au crédit du toulousain Romain Barbot. Rejoint quelques années plus tard par le guitariste Greg Buffier (Extreme Precautions, Autrenoir), le projet garonnais devenu duo a réalisé bon nombre d’albums sur BLWBCK ou encore Hands In The Dark, pour rejoindre aujourd’hui les rangs d’In Paradisum, une crémerie co-dirigée par un autre ancien résident de la vile rose : Mondkopf.
J’avoue sans mal avoir été jusqu’ici parfaitement hermétique à la musique de Saåad, et donc à fortiori circonspect vis à vis de l’accueil exalté qui lui a presque toujours été rendu (toutes proportions gardées, vu le cercle fermé que constitue la scène drone). De par son recours quasi systématique à une réverb’ de cachalot (au moins jusqu’à Deep/Float) pour masquer quelques « carences » tout d’abord, mais surtout pour ses associations pas toujours très adroites à des références et concepts un peu « poseurs » (rien que pour l’auréole païenne sur le deuxième a de leur nom, pour la dédicace à L’origine du monde sur Deep/Float), ainsi que pour sa capacité à saborder de pourtant très bonnes idées dans une opacité trop gratuite pour être résolument honnête. Bref, j’ai pourtant écouté à chaque fois chacune de leur sortie, épris d’espoir, rien n’y a fait.
Je les ai ensuite vus se produire en concert. Par deux fois. Une fois aux Siestes Electroniques, où à leur décharge le système et l’ingénieur du son n’avaient pas aidé à parfaire une session qui pour moi ne sied pas du tout à des conditions en extérieur et à un parterre d’estivants en goguette simplement venus prendre leur ration de kicks (le public « électronique » toulousain est au moins aussi con qu’ailleurs). Une autre fois dans une salle surbondée de l’Hôtel-Dieu, dans le cadre du festival « Toulouse les Orgues ». Pour l’anecdote, Fennesz jouait deux heures après la fin de leur concert dans l’Auditorium des Abattoirs, et nous fûmes moins d’une douzaine à y assister. Les deux fois, le duo jouait Verdaillon, une pièce « commandée » où chance leur avait été offerte d’utiliser l’orgue centenaire de Notre-Dame de la Dalbade. J’avais pour ma part trouvé que le glorieux instrument avait été sous-exploité (captures de simples accords plaqués), et que le setup était aussi instable et enfumé que la dimension narrative. En clair, je m’étais ennuyé, et j’avais fini par conclure (mauvaise langue acerbe que je suis) que la réputation de Saåad tenait surtout à son réseau de soutiens plutôt reliés et bien placés (Kongfuzi, Audimat, The Drone puis Libé, Nuits Sonores, Mondkopf et l’ancienne équipe de la Gaîté Lyrique).
Pourquoi me permettre d’être aussi long et critique sur mon ressenti vis à vis d’un duo indépendant ? Parce que justement, posé sur plaque, leur Verdaillon est un excellent album, associé à un travail de réalisation remarquable.
Je dirais même qu’il s’y exhale une ambience mystique, une présence absente impalpable, indicible. Le règne du moite, de l’humide. De ces atmosphères où l’on s’accroche au souffle des spectres dans l’air ambiant. Où l’on ne cotoîe pas certaines scènes sans risques dans la remontée du temps. Pétrifié par ce qui semble suinter de la pierre, ou par l’âme de l’instrument.
Loin de dompter et d’exploiter parfaitement l’orgue, les toulousains sont parvenus à en souligner la puissance et les radiations sacrées qui font bouillir les viscères. La présence absente c’est la sienne, et elle égorge l’espace par tous ses pores.
Articulé autour de plages plus courtes, cousues de fields recordings particulièrement bien saisis pour illustrer la narration temporelle, les murs porteurs de Verdaillon sont trois pavés monumentaux : The Harvest, Opaque Mirror et le superbe Vorde de fin. Le plus désarmant est qu’on peine même à pleinement identifier les différentes sources. Eternal Grow, où les cordes de Greg Buffier sont d’ailleurs autrement plus claires et ostentatoires, aurait pu être touché par la même excellence si il avait bénéficié d’efforts supplémentaires dans le respect des strates et donc du mix.
Preuve en est donc qu’à partir d’un concept moins propice à la dispersion, les membres de Saåad prouvent qu’ils peuvent aussi s’épanouir dans la rigueur et la contrainte formelle. Lors du splendide final, ils parviennent même à plus que toucher du doigt les influences baroques qu’ils aiment souvent citer. Verdaillon est donc de loin leur oeuvre la plus aboutie. Un disque splendide, doté d’esprits.
Sinon, le dernier album de l’Italien Deison (Any Time Now) est excellent lui aussi je trouve, 41 minutes au compteur également. Si jamais vous avez envie et du temps pour le chroniquer…
Excellent album d’un duo relativement méconnu apparement, surtout hors de France. Je trouve la qualité de l’enregistrement de haut niveau comparée à d’autres artistes Européens ou Américains tendant vers le même genre de son et qui ne soignent pas suffisamment cette composante essentielle de ce type de production. On a beau produire du drone/dark ambient/power electronic, il ne faut pas croire que l’expérience sonore recherchée se limite à une basse ronflante et à des effets qui invitent à la claustrophobie. Bref, 41 minutes de haute volée qui font bien plaisir et un album que j’aimerai voir joué en Live, pourquoi pas à Atonal 2017 🙂 Finalement, je trouve que ce type de musique, à ce niveau-là de qualité, se déguste au casque et muni d’un équipement audio de premier ordre. Merci pour la découverte en tout cas.
Merci pour la découverte