Comme beaucoup d’autres sound designers bien installés, Ryo Murakami a fait ses premières armes sur la scène techno. Récemment plébiscité à la Biennale de Venise, à Bozar ou au Berlin Atonal, le musicien d’Osaka pose ses installations et ses lives A/V dans des endroits de plus en plus exposés. Discographiquement parlant, il semble avoir trouvé un refuge durable au sein de Bedouin Records, label émirati dirigé par le mystérieux Salem Rashid. Sans être présenté comme tel, Esto est une suite logique à son Deist publié l’an dernier. La crédibilité de Bedouin Records s’installe de plus en plus ces derniers mois, et pas seulement pour ses origines exotiques qui emballent bon nombre de diggers post-webards occidentaux. Si le très récent dernier essai d’Eomac sur cette auguste maison est finalement bien décevant, souvenons nous néanmoins de ceci :
Ces derniers temps, bon nombre de disques s’arguant de concepts scientifiques, cosmiques et hyper-spatiaux m’échappent complètement (poke en scred à Subtext). Une palanquée d’artistes se réfugient d’ailleurs très souvent vers le tout conceptuel pour parer à toutes discussions qualitatives, et à fortiori échapper à toutes critiques. Si l’auditeur n’a pas aimé, c’est avant tout parce qu’il n’a pas compris. Arrêt des jeux, fin de l’histoire, c’est sans doute là que débute le véritable élitisme dont les musiques plus ou moins expérimentales sont souvent très justement victimes.
Inutile de m’enfoncer plus loin, vous aurez compris que les mouvements concentriques relatant de l’existence et accouchant de fractales ou d’éléments complémentaires en collision m’en touchent une sans me secouer l’autre. Je n’écoute pas de musiques abstraites pour qu’on me dicte ce que je dois y contempler. Pour l’occasion, je me permets de dépoussiérer une punchline dont la paternité est à mettre au crédit d’un ancien chroniqueur de SWQW (JLL pour ne pas le citer) : « Le futuroscope dans les esgourdes ça va cinq minutes. »
Tout ça pour dire que le concept autour du nouvel opus de Ryo Murakami m’apparaît comme tout aussi opaque et abscons. Mais que fort heureusement, la profondeur intrinsèque de sa musique situe son disque bien au-delà de toute esbrouffe pompeuse purement conceptuelle.
L’introduction du disque résonne comme le début d’une messe noire, une prière jetée vers des profondeurs infernales où l’oxygène se raréfie et où la lumière se noie. La suite continue de dépeindre ces semblables sensations de rituels, mais surtout un sombre univers de désolation, où malgré la terre brûlée des résidus de vie grouilleraient de toute part.
Le japonaix excelle dans les reliefs et les contrastes, gorgent ses drones d’électricité sans jamais que la moindre corde ne sonne statique. Idem pour le choix des fréquences graves, les parcimonieux synthés et éléments percussifs. Certains titres, excellents au demeurant, apparaissent néanmoins comme purement démonstratifs et n’apportent pas grand chose à l’histoire que le disque me raconte (Thirst, Sun…). Gracile reproche face à tous ces glorieux moments où de terrifiants fields recordings et recours purement électroniques maintiennent cette troublante ambiance, aussi viciée que régénérante, où les représentations picturales se morcellent pour donner vie à un maelström bercé par de seuls vents glacés (Divisive, Fanatical, Esto, Waste).
Malgré ses quelques aspérités et sa légèrement trop longue durée, Esto est une des sombres oeuvres majeures de cette année. Qu’on la rapproche ou non d’un concept lié au big-bang, c’est un trou noir qu’il vous est vivement recommandé de tapisser. Une plongée sans oxygène où les rares silences sont d’autant plus sexy à mesure qu’on approche du doigt l’origine du monde. Un flirt avec la fleur du mâle pour mourir au jardin d’ébène. Une mise en abyme, dont on ressort empli d’allégresse mais éreinté.
Le « JaponaiX » ? Je ne connaissais pas ce pokemon…
Excellente critique et album au passage 😉