Le temps se démembre dans des grenailles de silence. La lumière s’éteint peu à peu, brûlant soudain les yeux dans ces brefs sursauts de vie propres à ce qui gît dans les fossés du déclin. Tu ne cesses de marcher, observant ton reflet dans des bris de poussière et de souvenirs aux ombres décharnées.
On sait bien peu de choses de Rotor Plus, si ce n’est qu’il est originaire de Nouvelle-Zélande, et qu’il est l’auteur de deux précédents albums, Aileron et Map Key Window. Dust vient ainsi clore une trilogie magnétique et passionnante, étalée sur plus d’une dizaine d’années, et surplombant encore aujourd’hui les époques et les genres. Trois albums tenus par une structure similaire (trois longues pistes, elles-mêmes fractionnées en plusieurs morceaux) et par une esthétique de l’objet physique à la fois exigeante et constante (de magnifiques livrets, riches d’images, de photographies, de reliefs).
Rarement une musique n’aura autant embrassé les genres pour en défaire subtilement les coutures, et contrecarré les schémas temporels dans un tel canevas d’interruptions et de reprises. Rotor Plus déjoue le temps, l’espace, et nos attentes. Il suspend, dissémine, dérègle les mouvements sonores sans jamais arriver au déséquilibre. Les deux albums précédents étaient entaillés de glitch, d’electronica, d’ambient, de field recordings ou de drones. La techno n’était pas si loin, la musique concrète ou classique contemporaine non plus.
Dust pose une dernière conclusion. C’est un album nimbé de vies calcinées, de charpentes grignotées par l’absence, de paysages abandonnés au gouffre du vent. Les rythmiques s’estompent, mais la richesse des field recordings et des manipulations électroniques s’accroît plus encore.
Dans les intervalles de piano et de cordes résonnent les traces de silhouettes sans âge. Quelques mots griffonnés à la craie par des ongles noircis, pour l’heure où plus personne ne pourra rallumer de lumière. Des lignes électriques qu’on tente vainement de rétablir, des fantômes traversant l’humidité de murs grignotés par la rouille. On bute contre ce qui jonche le sol des pièces délabrées et des routes désertées. On se cogne à sa propre fatigue, dans un face à face nerveux avec l’extinction. Unable to stay, unable to leave.
Cet album porte en lui une lenteur à l’intensité acérée. Absorbant le silence dans ses compositions à la géométrie fissurée, Dust n’en revient que plus dense et invite à une écoute qui, elle, se voudrait sans fin.