Parvenu à l’âge adulte, Roly Porter a abandonné ses singeries dubstep pour composer des peplums inter-stellaires et apocalyptiques particulièrement ambitieux. Si son sablonneux Aftertime, hommage à peine camouflé à Dune, fait aujourd’hui et à tout jamais partie de mes dix disques indispensables toutes catégories confondues, Life Cycle of a Massive Star est avec le recul un inégal disque de transition. Vers les cieux et l’anticipation d’un nouveau big-bang, bien sûr, mais surtout vers encore plus de science et de fiction.
Resté jusqu’alors fidèle au label Subtext, qu’il co-dirige avec ses potes Paul Jebanasam et le duo Emptyset, son Third Law est étrangement sorti sur l’écurie bien assise Tri Angle Records. De quoi lui offrir un supplémentaire regain d’exposition, et aussi probablement une avance financière un peu plus confortable. Après plus de cinq mois d’écoutes intensives, et ce même si leurs respectifs concepts de base diffèrent légèrement, Life Cycle of a Massive Star se révèle aujourd’hui pour moi comme le brouillon de Third Law. La grandiloquence est aujourd’hui mieux maîtrisée, et certaines expérimentations gagnent en profondeur sans jamais rien perdre en radicalité.
L’intitulé du disque ne laisse que peu de place à la spéculation et fait directement référence à la troisième des lois du mouvement d’Isaac Newton. Réactions en chaîne, attraction des pôles opposés et principes de mouvements réciproques.
Il y a du Wagner, du Beethoven chez Roly Porter. Du Vangélis aussi, un peu. Surtout dans sa manière de concevoir des orchestrations souvent dans la rupture, de guetter l’harmonie jusque dans les accès de violence. Pourtant, le britannique n’est sans doute jamais apparu aussi précis dans les amplitudes, érigeant l’oeuvre du jour aussi bien dans une ode au bruit qu’au silence. Ainsi, la terrible rampe de lancement tellurique 4101 semble pousser la compression des textures à leurs limites sans un instant que l’oreille en souffre. Parce que Roly Porter est plus que jamais parvenu à maîtriser l’alliage de « matériaux » réputés comme peu complémentaires. Le fracas du fer et du cristal contre l’oxygène ou le silence. Les titres les plus « violents » sont donc aérés avec parcimonie par des plages plus propices à la contemplation. Si on retiendra plus particulièrement les variations autour de la puissance et de la vitesse des frappes sur Mass, High Places et Departure Stage, les titres plus orchestraux jouent parfaitement leur place dans le scénario. Seule un passage mélodique un peu convenu, semblable à un « message du troisième type » lors du final Known Space, pourrait se révéler comme le seul accroc à l’hyper-spatial tableau.
Sans connaître la nature de la masse placée sur orbite, on pourrait aisément imaginer que Third Law illustre métaphoriquement la nouvelle odyssée d’un astre filant vers la mort, s’étiolant toujours un peu plus à mesure qu’il franchit le mur du son et transperce le seuil de la lumière. En spectateur de ce qui l’entoure et le dépasse, il lui arrive de jeter ses pleins feux sur de vastes étendues grignotées par leur propre fusion, de hauts plateaux lunaires sur lesquels il s’échouerait presque avec bonheur. Son oeil s’attarde et s’humidifie parfois face au spectacle de splendide désolation, mais sans jamais dévier de son objectif et du point d’impact final. Là où tout s’arrête avant de tout recommencer, où la plénitude n’est pas pressée de fêter le tumulte d’un nouvel an zéro.
Après une réussite absolue comme Aftertime et la semi-déception Life Cycle of a Massive Star, Roly Porter prouve avec Third Law qu’il possède les moyens adéquats de sa très probable prétention. Espérons qu’il choisisse des sentiers moins célestes la prochaine fois, pour ne pas lasser un auditoire pas toujours forcément concernés par ce genre de thématiques. Sans être un ardent supporter de la SF sous toutes ces formes, Third Law est à mon avis une des oeuvres majeures de cette année, surtout en comparaison, dans le même genre, d’un Continuum (Paul Jebanasam) ne parvenant que très rarement à sortir de sa stricte dimension conceptuelle. Third Law, un périple vertigineux à travers le temps, la matière et l’espace. Un embarcadère vers un ailleurs, un après, où il est cruellement beau de regarder les étoiles mourir.