Inspiration sans limite ou travail acharné, on ne peut que constater la productivité de David Colohan, qui officie depuis 2011 sous son projet Raising Holy Sparks et, auparavant, sous l’alias Agitated Radio Pilot. Un coup d’œil à sa page bandcamp et aux dates de publication de ses albums permettra de vous en assurer : un peu moins de 10 albums publiés en l’espace de ces derniers mois. Son esprit créatif est apparemment loin d’être rassasié puisque l’irlandais est également un des membres fondateurs du collectif d’improvisation folk United Bible Studies, qui nous avaient enchantés au début de l’année avec leur album Spoicke. On pourrait craindre qu’une telle activité n’érode la qualité de ses sorties, pourtant, dès la première écoute de For Fran, Etched in Glass & Water sorti sur le label Fallow Field, on est immédiatement saisis.
Imprégnée des paysages de l’Irlande rurale et de mysticisme hassidique (dont est tiré le nom de ce projet), la musique de Raising Holy Sparks tente sur cet album de capturer les souvenirs brumeux d’une journée assez singulière, pendant laquelle Colohan et son groupe d’amis ont entrepris une randonnée dans les montagnes de la région de Carrowkeel pour tourner une vidéo dans des grottes et les tombes d’un cimetière mégalithique. Après avoir passé la soirée dans la ville de Sligo, dans un état quasi-hallucinatoire induit par l’alcool et la fatigue, l’excursion s’est terminée dans un hôtel avoisinant, dont les grandes baies vitrées surplombaient une rivière. Il s’y déroulait une soirée assez animée, où il a pu faire la rencontre d’une certaine Fran, à qui l’album est dédié.
L’album nous transporte rapidement dans les terres irlandaises esquissées par les nombreux instruments joués par Colohan. Dulcimer, accordéon, autoharpe, harmonum, mélodica et surpeti évoquent volontairement l’immensité (comme le suggère la pochette) de ces paysages sauvages, bruts et immaculés, terreau de cette musique folklorique chaleureuse. On sent également une certaine urgence dans ses compositions et dans la façon dont certains morceaux s’enchaînent (For Fran, Etched in Glass & Water III), comme si, précipité par la menace du gouffre de l’oubli, il devait retranscrire ses souvenirs avant qu’ils ne s’estompent. Cette fugacité se lit directement dans les pistes d’ouverture et de clôture : A Farewell Too Near A Greating I & II, qui embrassent le cœur de l’album. Lui, est embué du caractère émotionnel de sa rencontre, du brouillard de sa fatigue et de la sérénité avec laquelle il perçoit, avec recul, cette journée si singulière.
Placer ses fragiles souvenirs dans le creuset durable de cette musique, comme l’on dresse et grave des tombes pour ne pas oublier nos proches. Ce cimetière mégalithique ne serait peut-être pas la seule source de cette solitude que l’on entend au loin, écho également de cette rencontre éphémère, mais surtout révolue. Disque hommage donc, For Fran, Etched in Glass & Water est une très belle déclaration d’amour, aussi sincère que touchante.