Entre le fondamentalisme absolu des groupies de toujours et le jemenfoutisme un rien poseur de ceux qui martèlent être passés à autre chose, il est difficile d’envisager A Moon Shaped Pool, le nouvel album de Radiohead, avec calme, mesure et sérénité. Autant être honnête dès le départ, je n’appartiens à aucune des deux castes décrites un peu plus haut. Et malgré tout, je n’ai jamais cessé de suivre les propositons du groupe.
Mon adolescence ne fut pas très « indie », des titres tels que Karma Police, Street Spirit (Fade Out), Creep, No Surprises ou Paranoid Android ne me renvoient pas à la moindre nostalgie, et peinent aujourd’hui plus que jamais à m’extorquer autre chose qu’un demi sourire amusé (mais sans le moindre mépris). Je n’ai réellement découvert Radiohead qu’à l’orée de ma vingtaine, quand ils dévoilèrent Kid A et Amnesiac, ces deux monuments de recherche pure, qui prouvèrent aux sceptiques qu’on pouvait créer de glorieux albums rock « sans guitares » et avec Pro Tools. Plus de quinze ans plus tard, je crois que pas une semaine ne passe sans que je ne me tape la tête contre les murs à l’écoute d’un Idioteque ou d’un Like Spinning Plates. Mon profond intérêt a perduré jusqu’à Hail to the Thief, parce que même s’il renouait avec des formats rock plus « classiques », son caractère subtil et symbolique de véritable brûlot politique m’avait particulièrement séduit, tout comme ses très belles paroles opaques et insondables associées à une recherche musicale jamais rassasiée.
Pour finir, j’avoue n’avoir quasiment rien retenu d’In Rainbows, si ce n’est 15 Steps et Jigsaw Falling Into Place, excellents titres trop vite éclipsés par des hymnes insipides, mièvres et parfois à la limite de l’indigence comme Reckoner, Nude, House of Cards et Videotape. Les incursions solos de Thom Yorke et son projet Atoms for Peace ont achevé mon intérêt, mais pas autant que The King of Limbs, que j’ai tant viscéralement détesté que je n’ai même pas l’envie de déterrer la chronique (le pamphlet malhonnête) que j’avais écrite à son propos jadis il fut un temps.
Voilà, cette introduction est sans doute un brin trop longue, mais il est à mon sens nécessaire de remettre ma relation au groupe dans son contexte, et de confirmer que je ne suis pas un (putain) de popeux avant de livrer un avis forcément hautement subjectif à propos de ce nouveau disque.
Le premier single, Burn the Witch, lâché sauvagement mais relayé en grande pompe, m’en a au départ touché une sans me secouer l’autre. Aujourd’hui, il m’agace copieusement mais est assez représentatif d’une teinte générale qui ne peut pas être laissée au hasard.
Radiohead auraient-ils créé l’album de pop adulte et moderne dont ils rêvaient ?
Les moyens alloués à la production de leurs albums ont toujours été à la hauteur, sans pourtant servir de cache misère. Les frères Greenwood, dont il n’est pas nécessaire de rappeler tous les talents de musiciens et de compositeurs, jouent à mon sens un rôle encore plus déterminant que d’habitude dans la direction artistique de ce disque, particulièrement dans le choix de ces enluminures (ces arrangements) si « radicalement » pop.
Le problème est qu’elles sont si soignées qu’elles en deviennent à mon avis bien trop lisses pour ne pas noyer les harmonies et les mélodies sous leur surpoids. Idem pour les paroles, qui, si elles ne sont jamais des escroqueries, s’inscrivent dans cette même immédiateté un peu regrettable et stimulent autrement moins l’imaginaire qu’à l’accoutumée. Je m’étais déjà profondément ennuyé à l’écoute de certains titres de Radiohead, mais je n’avais jamais trouvé leur musique aussi formatée. Mais au fond, peut-être est-ce cela la pop : des chansons sans ambition, des cordes épiques et des pianos sans âme, et peut-être que je n’y comprends rien…
J’ai également toujours eu un souci avec les gimmicks ou les tics vocaux de Thom Yorke. Encore plus quand ils sont bêtement et simplement geignards. Inutile donc de préciser à quel point Daydreaming, Glass Eyes ou pire, Present Tense (sa gratte sèche, ses choeurs angéliques qu’on retrouvait déjà sur le légèrement meilleur Decks Dark, ne feront qu’attiser mes réserves), True Love Waits (au moins du même niveau d’indigence qu’un Videotape) m’exaspèrent profondément.
Il y a heureusement des pistes qui sortent clairement du lot. J’arrive pour ma part à en dégager trois. Ful Stop, sa basse ronflante et ses effluves krautrock, avec un chant plus habité chez Yorke. Identikit, que le groupe jouait déjà depuis un moment sur scène, apparaît dans sa version studio comme un titre particulièrement sérieux et assez dense en terme de composition et de nuancier vocal. Sa suivante, The Numbers, est elle aussi un très bel exercice de style, aussi bien rythmiquement que dans son rafraîchissement mélodique. C’est uniquement sur ce titre que je parviens à apprécier la cohabitation des guitares (très bonne), des crins (avec juste ce qu’il faut de grandiloquence) et du piano (dans un « contre-champ » presque effervescent du plus bel effet).
Je n’ai pas encore d’avis véritable à propos de Tinker Tailor Soldier Sailor Rich, mais le besoin absolu que la plupart des médias ont de vouloir le connecter à l’héritage de Gainsbourg m’énerve presque autant que des allusions à Bret Easton Ellis pour parler du dernier Daft Punk. Lu plusieurs fois sur le web : « A Moon Shaped Pool est le Melody Nelson de Radiohead ». Bordel, mais que fait Daesh ?

Thom Yorke n’est même plus roux. Le groupe accepte de jouer Creep en concert sans s’excuser. Entonne des chansons, selon ses propres mots juste pour faire plaisir au public. Radiohead est redevenu ce groupe de pop-rock qu’il ne voulait plus jamais être il y a quinze ans. Tout fout le camp.
Je n’irais pas jusqu’à dire que ça sent la tournée des stades et les collaborations avec Coldplay, la liberté d’expression subjective a heureusement ses limites, mais ça s’en rapproche. A Moon Shaped Pool est un album de pop anglaise sans tube et sans âme véritable. Sans un instant les blâmer trop ostensiblement, je laisse les popeux et autres mélancoliques fragiles à leurs mièvreries, je m’en retourne à mes Kid A/Amnesiac. Everything In Its Right Place.
loin de loi l’idée de faire un procès quelconque, surtout qu’en plus j’aime bien kid a et amnésiac. je suis juste pas d’accord avec ton ressenti sur l’album, du coup vu qu’ on s’exprimer….à moins qu’on n’aie que le droit de vous faire des compliments, mais c’est un peu triste.
« Loin de moi l’idée de faire un procès quelconque. » « à moins qu’on n’aie que le droit de vous faire des compliments, mais c’est un peu triste. » Euh…
Tu as tous les droits mec, y compris ceux de ne pas être d’accord, de le dire, de faire des critiques, des compliments, ce que tu voudras en fait.
c’est drôle que tu découvres aujourd’hui que radiohead est un groupe de pop. ça m’a paru claire dès la première écoute de ok computer il y a bientôt vingt ans. pour ma part je trouve que cet album est très réussi (contrairement aux deux derniers) justement pour cette recherche de la mélodie parfaite, du cœur parfait, de l’arrangement pile comme il faut. après on verra avec le temps s’il tient la route sur la durée. mais je comprends ce que tu veux dire.
Attention, je ne dis pas que je découvre aujourd’hui Radiohead comme un groupe de pop. Je dis simplement que leurs périodes « pop » ne m’ont jamais intéressé, et que je regrette qu’ils y soient revenus. Tout comme j’imagine que les éternels clients de leur pop n’ont pas forcément apprécié ou compris Kid A ou Amnesiac.
Attention, c’est plus « brasser la merde », donc pas de procès d’intentions.