Pour des raisons qui se voudraient évidentes, beaucoup comparent irrémédiablement Puce Mary à Pharmakon. Sûrement parce que ce sont des femmes, jolies, blondes, et qu’elles beuglent toutes les deux dans des micros sur un fond de noise/indus bien enragé. Le sexisme a ses codes et ses chantres. Ce sont sans doutes les premières à s’en agacer. Ne donnons donc pas plus longtemps de grain à moudre à cette dérive.
Puce Mary nous vient du Danemark, de Copenhague plus précisément, où elle est depuis ses débuts très proche de Loke Rahbek (Damien Dubrovnik, Croatian Amor, Olymphia…), qui dirige le label dans le vent Posh Isolation. Sa musique, est à l’image du label : punk et DIY. Son setup est assez restreint, articulé autour d’un laptop, d’un Korg, d’un microphone aimant la disto et de diverses pédales d’effets. Depuis ses débuts, sa direction artistique se centre autour de thématiques imbriquées : le corps et la sexualité. Poussons l’analyse un peu plus loin tout en demeurant pragmatique, Puce Mary défend une sexualité très libre qui n’a pas vocation à être particulièrement définie, même si certains y trouveront plus d’une ode au sadomasochisme. Son chef d’oeuvre réalisé l’année dernière en compagnie de Loke Rahbek, The Female Form, contenait des titres suffisamment explicites (A Body Reimagined, Liquefying of the Flesh) ne laissant que peu de place à la spéculation.
Lors de représentations live fiévreuses en compagnie de ce dernier, la danoise accepte d’être poussée dans ses limites et retranchements. A contrario, quand elle se produit seule, un peu timide, elle peine parfois à incarner scéniquement toute la force et la fureur de sa musique. Réserve toute personnelle, qui n’entame en rien tout son travail en studio. The Spiral est d’ailleurs son cinquième album, sorti il y a quelques semaines chez la crémerie danoise.
D’une puissance sonique assez folle, conduit d’une main de maîtresse pour ce qui est de la narration jusqu’à l’acmé finale, The Spiral est un cri. Epi, et intradermique. Un cri qui vient d’en dessous, de l’intérieur. Le cri de celui qu’on aime et qu’on aime détester : cet autre, magnifiquement monstrueux à l’intérieur de nous. Cet ennemi intime qui frappe à la porte du corps, qui ne demande qu’à sortir et qu’on hésite à faire rentrer. The Spiral illustre à mon avis cette lutte, dans la résistance comme dans l’abandon, entre frappes, caresses métalliques, sutures et points de compression.
Puce Mary excelle dans le jeu autour de la tension. Elle se montre parfois frontale et vénéneuse, puis plus tendre et contemplative lorsqu’il s’agit de baisser la garde. Ainsi, elle use de titres plus calmes et plus ambient (The Temptation to Exist, No Memory) comme pour aérer les théâtres de ses obscures passions (Night is a Trap II, Masks Are Aids II ou The Actor). Tout ça pour mieux refermer le piège et nous amener jusqu’à une petite mort dont elle serait le bourreau : le magistral Slow Agony of a Dying Orgasm.
The Spiral est un disque passionnant. Une expérience physique et mentale éprouvante, dérangeante, sexuelle et torturée, qui n’a pas peur d’exposer ses plus bas instincts avec intelligence et subtilité. Une réaction enchaînée, un voyage à l’intérieur de nous en compagnie d’un autre avec qui on acceptera volontiers de perdre pieds (et poings liés).
Excellent.
Bel article, album sublime.
Merci, et oui, définitivement, ce disque est une merveille.