Collectif à géométrie variable depuis ses débuts, articulé autour du rapeur Arm et du guitariste Olivier Mellano, Psykick Lyrikah est depuis dix ans une alternative plus que respectable dans un sérail rap français qui ne laisse étrangement que très peu de place aux origines non contrôlées. Loin, mais alors très loin du « game » et de ses turpitudes, les rennais défrichent inlassablement sans regarder derrière, sans même prendre le temps de se trouver une place ou une définitive identité.
L’auditoire rap est en pleine mutation, le genre se cherche une étape charnière, entre ceux qui ne jurent que par la rime facile, la punchline grasse ou quelque chose d’encore plus huilé et chiant que le rap purement conscient. Bien qu’opaque et sombrissime, le chef d’oeuvre Des lumières sous la pluie apparaît souvent comme une référence dans la bouche de ceux qui n’ont pas voulu s’enfermer dans un camp. Robert le Magnifique, Mr. Teddybear, Abstrackt Keal Agram (et plus tard le Parasite) étaient apparus alors comme des ronins du beatmaking, aptes à sublimer la pénétrance de l’Arm lyrical. Cet album est dans le combat que livre le rap français une véritable tête de pont. De quoi même foutre ce qu’il faut comme pression. Car si la plume ne s’est jamais tarie et malgré des Actes successifs de remarquables factures, le projet essuie de plus en plus de doutes pour ce qui est de son évolution instrumentale. Arm compose de plus en plus de prods, certains suivent quand d’autres fuient. Classique ? Peut-être, mais pas seulement.
Il y a deux ans, Derrière moi s’était vu agrémenté de déclinaisons « live » autrement plus rock pas toujours inspirées, mais qui avaient conquis malgré tout les éclairés fans de Zone Libre. Le guitariste Marc Sens est invité (sur trois titres) d’ailleurs sur Jamais trop Tard, sorti il y a quelques mois plutôt discrètement. Entre scepticisme et excitation, j’avoue l’avoir abordé en n’essayant surtout pas de l’enfermer dans un cru similaire à celui de Des lumières sous la pluie.
Arm n’a pas évolué dans ses attaques de mesure. Ses déclamations neurasténico-dépressives donnent certes un peu moins l’envie de s’occire par la gorge avec une cuillère en bois, en comparaison à celles de VII, mais je ne parviens pas à lui en vouloir. Je n’aime pas ses instrus trop marquées par des drums trop ostensiblement massives, ni même qu’il accepte que le beatmaker Kurrupt Flo saborde Le Soir Pour Toi avec des effets pré-pubères Jarring Effects mal clonés. Ou encore les turbines de synthés elfico-épiques complètement surannées (l’inécoutable Mon Visage) d’un Tepr beaucoup trop Yellien. En général et plus globalement; son goût probable pour la mauvaise UK bass music mal digérée. Je ne parlerai même pas de ce « morphing » caricatural posé sur certaines voix, qui s’inscrit dans tout ce que la sacrosainte « modernité » a de plus médiocre. Pour être clair, je pense qu’à part celles du Parasite, Robert le Magnifique ou de Creach, les instrus sélectionnées ici ne s’émancipent pas assez de celles qu’il compose lui même. Pari de la cohérence ? Sans doute, toujours est-il que je passe complètement à côté de la majeure partie des prods.
Mais putain, ses mots continuent de claquer dans des nuits où le silence est étouffant. Parce que si De grandes mesures continuent d’accompagner, c’est qu’une fois encore l’histoire s’est répétée. La minute d’après, Invisibles, deux premiers titres qui poussent inévitablement vers l’errance nocturne semi-hallucinée. Où la tête en friche, on court vers ces foutues lumières qui brillent uniquement pour les fous, où l’on cherche un regard de naufragée auquel s’accrocher, pour dans les Courants Forts ne surtout pas plonger. Ne fut-ce qu’un instant, être le rongeur de son cul à l’heure du ras de marée.
Pouah, j’ai des rêves de jour d’après. Désolé par avance, mais cet album m’inspire une dérive narrative « psyché ».
J’ouvre enfin ma fenêtre. J’ai dû rester trop longtemps enfermé, les rayons du soleil et les multiples points d’horizon me défoncent les yeux. J’ai le cerveau malade, je suis comme l’homme qui arrêta d’écrire. Au dehors se dispersent les derniers égarés de la fin d’une manifestation. Je vois des fils de promus déguisés en punks rejoindre leurs garçonnières rue de la convention. A leurs côtés de jeunes apprenties Cosette en pantalon, qui blablatent, causent d’émancipation, attendent finalement le treizième mois de papa pour financer leur conso de mauvais chichon. Ils ne se sont pas battus mais ont vociféré, contre ceux, encore plus factices et stupides qu’eux, qui disent que l’IVG est un crime et que le sida guérit l’homosexualité. Je pense à Dolcino, Ravachol et Duras, je me dis qu’ils sont morts deux fois. Je pousse le son, je peux plus encaisser les (im)postures et le fanatisme en répulsion. La minute d’après je me laisse avaler par la nuit, nostalgique d’une époque où l’enluminure savait souligner le propos érudit, celle où je n’avais pas à chercher des lumières sous la pluie.
Les forces invisibles me poussent, le texte me foudroie. Je rêve de sucer le béton d’une ville où je n’habite pas. Au jardin des deux rives subsistent des tables en bois, y sont attablés Bukowski, Fante, Selby et Pessoa. Jamais trop tard pour dans mon rêve avec eux célébrer le mescal et le jais, ils me confirment que Dieu est un fils de stups et qu’un jour je le tuerai.
Je suis défoncé, je me fais ceinturer les chevilles par des unijambistes, de grands nains violents et les frimas de Décembre. Je kiffe pas le son. Mais j’ai toujours du respect pour celui qui, né un soir de réveillon, a forcément envie d’accoucher d’interlude rouge et de vraies révolutions. Un souffle venu d’en dessous me conduit à un porche, je ris, je rêve du temps où je n’avais pas peur de saigner les truies. Je descends les marches de l’enfer, les flammes me caressent les plis. Dans l’ombre je reconnais Serge Ayoub et Julien Terzic qui se font des gâteries. Je leur demande ce qu’ils foutent là même si je suis pas franchement surpris.
« Dans notre total soutien au jihad gay, nous luttons pour l’installation des salles à fists. Va, vis, et préviens la chienne de grade ».
Le souvenir de ma chère Caroline F. alors me rappelle. Elle m’a quitté et je la laisse bien tranquille. Elle a déserté, la liberté avait bien trop de charmes. Souviens toi Caro quand le soir pour toi, je détournais les mots des autres pour raviver nos draps. L’instru me fait dégueuler, ma gerbe fera des jaloux, j’invoque la rouquinitude de Ben Frost pour semer des pièges à loups. Aux portes de la ville, je croise un résidus de Booba rennais inopportun, putain donnez moi des lèvres et une chute de rein, que je puisse à nouveau disperser mes parasites sanguins.
Mon visage a changé, je suis passé de l’autre côté. j’ai skippé la ligne rouge . Je crois plus en Rien mais je nourris de l’espoir pour Tout. J’ai vomi, ravalé, déconstruit, tous ces visages difformes tout droits sortis d’un Ravalec post-gore. J’attendrai pas nos tendres et meilleures années, le jour quinze ou celui d’après, pour sourire enfin à une sortie de toute beaué.
Le premier jour du reste, garde baissée
Prise de vitesse, ravale tes pâles couleurs
Lacère tes gammes, la détresse a refait les gestes en douceur… vaste programme.
C’est tout un attirail, décor brutal, un pied dans la spirale tiraille les peurs vitales
T’es pas sauvée mais tu respires, un comble, dans l’ombre, invisible à crever les bombes
A part tailler des ronces pour échapper au pire du pire
Panser la plaie c’est l’agrandir
Tu veux la vérite ? J’ai détesté l’apprendre
Regagner les tréfonds pour remonter la pente
Tes rythmes se compriment, sans fard, l’éternité s’empare
Les défilés stériles, ma griffe, mon empreinte, le temps l’étranglera
Et tanpis si mes sens répondent à l’Aveugle
Tous les manques à l’appel m’explosent à la gueule
Ressasser, rabacher, troubles penchants
Montagnes russes, double tranchant
Belle cible à côté de ses pompes ?
Non, héros invincible, à crever les bombes