Après deux formats courts plus que prometteurs publiés sur le Our Circula Sounds de Sigha, le discret Mike Jefford s’est révélé comme un des plus pertinents producteurs techno de ces deux dernières années. Son premier album, In Silent Series, avait mis presque tout le monde d’accord et avait même tutoyé les sommets de notre top 2014. Avant tout parce qu’il sait que l’embourgeoisement gominé est en train de tuer la techno et sa culture, qu’il est donc plus que jamais temps de l’emmener ailleurs, loin des simples boucles anémiques et des collages kilométriques qui ne rassasient que les apostats boulimiques de kicks aux mâchoires endolories. Stroboscopic Artefacts l’avait compris, jusqu’à lui confier les rênes d’une des Monad Series. Mais parce que les plus grands talents techno sévissent actuellement dans l’anonymat et loin des walibis du dancefloor de masses abruties à la mauvaise MDMA, Jefford sait également qu’on l’attend au tournant, à la croisée des chemins. Alors que bien des crémeries surbuzzées lui font les yeux doux et pourraient le mener jusqu’à la panacée Concrète (poufs peroxydées et coke frelatée), il choisit de fournir ses premières nouvelles esquisses à un jeune label batave promis aux lumière de la confidence : Leyla Records.
Les quelques artworks de Leyla Records sont illustrés de façon grossière, dotés de traits gras et faussement inaboutis. Celui de Nonharmonic Beautifault a des allures de phasme prêt à pourfendre ses ennemis, un de ces monstres qui porte sur son visage la noirceur de son âme.
Le format court en présence cloue l’hédonisme et la mélodie sur le même piloris. D’une âcre darkitude portée à ébullition et touché par un mastering hors norme, il distribue de lourds projectiles à pénétration lente qui pourraient servir de test pour l’acquisition d’un nouveau subwoofer. La piste introductive exploite à fond la digression noisy, les blasts et la dissonance pour planter un décor particulièrement apocalyptique.
La rythmique s’emballe dès qu’il passe la seconde, exposant un tunnel qu’il faudra creuser à mains nues jusqu’à contempler ses phalanges ensanglantées. Une techno de terrils et de crassiers, qui attaque par la nuque, diffusant des effluves de charognes en pleine crémation à l’étouffée. Bien qu’assez simple dans ses enchevêtrements, ce titre frontal témoigne d’une rigueur claustrophobique exemplaire en terme de procédures.
La troisème piste, celle qui donne son nom au disque, est à n’en pas douter le véritable mindfuck de l’ensemble. De par ses franches forces destructrices, bien sûr, mais aussi dans sa capacité à légèrement dépoussiérer une certaine forme d’acidité, en organisant rythmiquement une sauvage séance de circoncision à l’albanaise dans un Dark Glory Hole de cerbère. Les deux dernières minutes sont absolument implacables et devraient plutôt bien illustrer le propos.
Le très explicite The Burin viendra clore le cloaque pour écraser l’infâme et les dernières vermines quêtant l’oxygène dans ces contrées carbonifères. Des embryons inachevés y semblent sacrifiés dans un tamis purgatoire où des percs en serpette feront le tri entre ce qui doit survivre et ce qui doit crever. Esprit Charlie, et humanité.
Il est encore un peu tôt pour évaluer concrètement ce nouvel essai, pour spéculer sur le futur et surtout pour le comparer qualitativement à ses travaux passés. Toujours est-il que Positive Centre a perdu en finesse ce qu’il a gagné en radicalité. Hardcore et nihiliste dans l’état d’esprit et dans son postulat de ne rien inventer, cet EP ne s’embarrasse pas de fioritures ni de ces considérations « journalistiques ». Il est à prendre comme tel, ou à laisser.