Mike Jefford, le nom ne vous dit rien ? Rien de bien étonnant tant la discrétion de l’allemand fait partie intégrante de son identité artistique, du mythe qui entoure son moniker, Positive Centre. Avec seulement trois releases au compteur, Jefford réussit un tour de force impressionnant, celui d’apposer un style unique à ses productions, une empreinte reconnaissable entre mille. Une Techno lente, frontale, maculée d’écumes Drone en bref la parfaite incarnation de la réorientation stylistique Techno de ces 2 dernières années.
Fidèle à l’écurie dirigée par Sigha, Our Circula Sound, Jefford y sortira tout d’abord An Assembly, brillante décoction, EP Techno diablement ajusté pourtant passé quasiment inaperçu puis, 5 mois plus tard, Hiding Knives. Ce dernier finira par ailleurs de nous convaincre que Jefford a définitivement quelque chose à dire et que les envoutantes exhalaisons en présence n’ont rien d’un hasard. Suivant cette intuition devenue conviction, nous nous sommes donc tout naturellement intéressés à la sortie de son premier long format, In Silent Series.
Sorti en ce début de semaine, le LP ne laisse planer aucun doute, aussi infime soit-il. Si la Techno tient pour certains d’un engoncement paresseux et prévisible dans des carcans métriques rongés jusqu’à l’os, Jefford apportera à ceux-ci le parfait contre-exemple à leur théorie. Ainsi, son album se présente comme un furieux coup de latte dans l’amas fécal et fumant de digressions navrantes qu’alimentent depuis une dizaine d’années nombre de producteurs en manque d’inspiration sous couvert de produire de la Techno « mentale » – association par ailleurs pléonastique et dénuée de signification. L’abcès est percé, poursuivons.
L’allemand construit ici une sortie patiente et inspirée, antre de monstruosités d’une ampleur remarquable. Dès l’introduction, No Need For Narration, Drone mortuaire nourri de fumerolles épaisses, Jefford pose les bases de l’expérience à venir, une errance à tombeau ouvert sur les remparts de la nuit, toujours à deux pas du ravin. Nous piétinons les ronces ardentes d’un sentier dérobé pour brusquement déboucher sur une clairière esseulée au milieu de laquelle siège une structure métallique d’où s’échappent des pleurs rampants, en ruisseaux tortueux – cf. Ashes In Exhalation. Les cierges dansent, les corps se consument en communion dans un déluge de reverb, de cuivres et cliquetis hallucinés – cf. Handed By Symmetry, monstre Drone Techno, chef d’œuvre d’effroi et de ponctuation rythmique fugace.
Nous tentons de nous mêler à l’épais halo de silhouettes, sans succès, le moindre de nos pas les disperse dans un souffle vrombissant. Le brasier de la solitude au creux des paumes, nous frappons le bois et le métal environnant, essayant tant bien que mal d’y faire résonner notre présence. Rien n’y fait, nous sommes seuls. Nous sommes ce snare boisé, nous sommes ce hat aquilin, seuls, à la merci de l’ombre et des cèdres mouvants – cf. Become The Surface, stomper 4×4 décharné où minimalisme savant et bassline gargantuesque se toisent et s’apprivoisent dans la fureur la plus complète. A bout de force, nous cessons de nous débattre. Nous nous fondons alors aux conciliabules des cèdres avoisinants, à leur ballet ondulatoire, seuls, blottis dans le bleu de l’écorce paternelle – cf. Old Father Sun Strider, Ambient Techno éblouissante de maîtrise et de retenue.
Jefford le taciturne signe avec In Silent Series son premier long format, un long format criant de talent et d’inspiration, creuset de plaisirs et atrocités entremêlés. Une œuvre brise-mâchoire intense et incarnée, jalon du cheminement vers une esthétique nouvelle, vers une Techno réinventée, réappropriée, plus lente, plus viscérale, plus pudique aussi. Un LP mordant et addictif qui ne devrait pas avoir de mal à se hisser dans nos tops 2014.