Le projet Pharmakon de Margaret Chardiet fête cette année son dixième anniversaire. Si la concrétisation discographique fut tardive, la new-yorkaise est depuis son adolescence une activiste de la scène DIY et underground. Parmi les pointures croisées au gré de ses pérégrinations dans des caves humides, on peut dire que la rencontre avec Dominick Fernow (Prurient, Vatican Shadow, Exploring Jezebel…) aura été une des plus déterminantes et parmi celles qui l’ont le plus influencée. On peut dire aussi que Pharmakon fait partie de ses artistes qui produisent des disques surtout pour pouvoir tourner en concert. Les liens étroits que sa musique entretient avec les aspects performatifs et corporels y prend une dimension aussi cathartique que les concepts auxquels elle s’astreint. L’abandon de la maîtrise, la trahison de l’esprit par le corps et cette fois-ci avec Contact : les différentes étapes qui mènent à la transe.
On aurait pu attendre l’américaine sur des sentiers qui entretiennent les liens entre l’agonie et l’orgasme, la sexualité et le combat, la domination et la douleur. Sauf que toute cette clique scandinave à laquelle on tente trop souvent de la rattacher, qui gravite autour de Loke Rahbek et de Posh Isolation (Puce Mary, Damien Dubrovnik, Cremation Lily…), s’en est déjà fait une spécialité.
La transe peut bien sûr être reliée au cul, les gémissements sauvages de Margaret lors du Nakedness of Need d’ouverture soulignent d’ailleurs méchamment les ambiguïtés détaillées plus haut. Sauf que Pharmakon envisage la transe et par extension l’acmée dans un registre autrement plus global, et plus intrinsèquement lié au strict caractère oppressant de sa musique.
En comparaison de ses deux disques précédents, Pharmakon a dans une certaine mesure abandonné sa totale désinvolture, son côté empirique, ainsi que sa dimension radicalement performative et jusqu’au-boutiste. Mais Contact en a clairement gagné en cohérence et en élaboration.
Ne me demandez néanmoins pas de vous parler du songwriting, j’analyse aussi bien les vociférations de Pharmakon que les discours sous cassoulet de Jean Lassalle.
On pourra certes émettre des réserves sur le tracklistening et la stratification des différentes étapes qui approchent et s’échappent du climax, en considérant qu’on prend quand même la raclée un peu tôt. Il n’empêche que Pharmakon est encore et plus que jamais une véritable prêtresse pour ce qui est de soumettre les harmonies du chaos, dompter ces grasses fréquences abrasives de brutes qui font chier de la rouille et pisser de la cendre. Même si plus maîtrisé et un peu moins extrême que ses aînés, Contact demeure un glaire, une touffe de poils expulsée comme si la mort en dépendait. Pour se libérer de ce qui est enfoui, et qui continuera d’exister même sous nos peaux.
En ceci, Pharmakon n’a rien perdu de tout ce qui faisait sa force jusqu’alors : sa pure dimension cathartique. Comme un symbole, elle est même parvenue à maîtriser sa voix, cet organe maintes fois torturé apparaît aujourd’hui comme plus posé malgré sa rage intacte. Comme un instrument, qui accepterait parfois de se taire pour résonner plus hardcore dans la parcimonie. Un peu comme si justement, Pharmakon avait remis les compteurs a zéro, uni enfin son corps et son esprit dans la paix pour mieux déclarer la guerre à tous les salauds. Aux oripeaux du vulgairement beau.
Contact est donc à mon humble avis l’album le plus abouti de l’américaine. Un disque pour jouir sans entrave dans des cathédrales d’amiante jusqu’à en gondoler les cloisons. Une expérience à réserver à un public averti, qui sublime les vertus de l’oppression et accepte que le poison fasse parfois partie de la solution.