Jeune duo né en 2010, articulé autour de Simon Bainton et d’Alex Smalley, Pausal semble vouer une relation toute particulière à la saison propice aux dépressions saisonnières. Même si la thématique n’apparaît ostensiblement que sur un EP datant de 2011, sans connaître leur discographie sur le bout des doigts, on peut mentionner sans craintes que leurs traînées linéaires trouvent leur apogée dans les hymnes naturels mordorés. Si pour ma part je pense que leurs plus belles réalisations sont les enfants du projet du jour, les deux britanniques possèdent d’autres espaces pour faire rayonner leur soundscaping sur des terrains détrempés. Simon Bainton est très récemment apparu seul chez Hibernate, tandis qu’Alex Smalley continue d’exercer au sein du projet Olan Mill en compagnie de Svitlana Samoylenko (les labels Preservation et Facture/Fluid Audio s’en souviennent). Pour ce qui nous occupe aujourd’hui, c’est la maison luxembourgeoise Own Records d’Helio Camacho qui accueille ce magnifique Sky Margin.
Je ne suis pas un aficionado béat du name dropping sauvage. Mais, face à ces lignes dilatées et à ce processing si particulier qui lie plus que jamais l’art pictural et la musique (landscaping/soundscaping), comment ne pas penser à cet autre groupe légendaire qui fait la joie des suiveurs du label Kranky (Labradford, Low, Grouper, chacun y va de sa préférence) : le duo Stars Of The Lid. Et encore plus particulièrement celui de sa moitié, le juste génial Adam Wiltzie (A Winged Victory For The Sullen, Aix Em Klemm), qui, à grand renfort de lignes de guitares traitées et de romantisme céleste presque dénué de la moindre mélodie au sens propre, a su installer sa musique et celle qu’il composait avec Brian McBride comme une des oeuvres globales les plus passionnantes de ces vingts dernières années. Ouais, rien que ça, je sais, mais la passion ne sera jamais chez moi émancipée de certains excès. Si en plus, on ajoute à cela l’influence plus que probable des plus beaux et éthérés travaux de Brian Eno, la volupté et les vapeurs célestes ne sont pas loin de former leur halo.
Tout ça pour dire que bon nombre de musiciens se targuent d’avoir les mêmes influences et de continuer dans leur mesure à contribuer à ce qui fait l’ambient. Et que tout à fait humblement, dans un silence relatif et en conservant leur empreinte personnelle, les deux lascars du jour n’ont pas à rougir de ce qui les a probablement inspiré, tant ils réalisent ici un sans faute absolu.
Vapeurs brumeuses, déclinaisons de gris et d’or, captures instantanées des oscillations du ciel libéré de sa nature morte, les lignes dilatées de Pausal s’inscrivent dans un paysage pas si imaginaire que ça, comme les rayons du soleil caressent les âmes grises en octobre. Si de célestes tracés de guitares traitées en sont les éléments essentiels, différentes techniques et diverses intégrations ponctuent les sillons. Réverbération diluvienne, time stretching (truc qu’on m’a appris récemment), numérisation de sources acoustiques, échantillons captés sur la wax ou dans la nature, agrémentent l’ensemble de soupçons mélodiques et rythmiques indolents.
Les rayons se toisent, se dispersent puis se croisent à la lumière de l’astre pourpre. Comme un collyre camphré (au sens anesthésique du terme), le son de Pausal couvre les douleurs du coeur et les paysages souffreteux du quotidien pour révéler somme de détails et de reliefs insoupçonnés. Ainsi, une cymbale avec des envies de ride enveloppe les radiations de Vapour, un piano traité au laudanum sur Balance apporte son lot de nuances au spleen chaleureux pour trouver le tant recherché équilibre entre gris clair et gris foncé. Idem avec les cordes brutes et valétudinaires de l’ambivalent et spectral Topography. On enlève un calque obsolète pour dégriser ce sur quoi le regard se pose, ce qui permet de ne pas déformer la réalité mais d’en appréhender les contours avec un oeil neuf et rassuré. C’est juste beau, et ça s’écoute sans doute bien mieux que ça ne se décrit.
Cousu de drones lisses mais francs dans leurs attaques, Sky Margin est un sublime album d’ambient comme il s’en fait finalement peu. On ne soulignera jamais assez l’importance du mix et du mastering pour réaliser un album commercialisable. Sans rien enlever au talent des deux britanniques, l’opus ne pourrait sans doute pas prétendre à la même excellence sans l’intervention encore inspirée de Taylor Deupree (boss de 12k, label qui nourrit décidément de sérieuses accointances avec l’esthétique de Own Records), qui eut la charge du deuxième office cité. A écouter sur vinyl plus particulièrement, pour se libérer des coupures dans le mix inhérentes à la version digitale. 10 euros, pas plus pas moins, pour acquérir un compagnon phonographique avec qui, ces temps-ci, il sera plus simple de voir l’aube et l’espoir se relever. Une véritable bouffée d’air, les aspects thérapeutiques d’un solstice d’été, une oasis dans le désert de Brumaire, pour qu’enfin certaines voies ne soient plus impénétrables mais lactées.