Paul Corley n’est pas un nouvel arrivé chez le label islandais Bedroom Community. On peut par exemple le retrouver sur l’album By The Throat de Ben Frost, en 2009. Ce coup-ci, les places s’échangent, et c’est maintenant Ben Frost, avec d’autres noms tels que Matthew Collings, qui l’accompagne à la guitare pour son premier album.
Un album relativement court, certes, fait de quatre pistes d’une dizaine de minutes. Pourtant, quand le disque se termine, on en ressort avec l’impression tenace qu’un temps bien plus long s’est écoulé. Peut-être parce que ces pistes-là ont appris à embrasser le silence, à faire corps avec le temps pour lui donner une texture, un grain, une couleur de crépuscule. Elles investissent l’immédiat, pour lui redonner sa lenteur et son poids nécessaire.
L’album s’ouvre sur She Is In The Ground. Femme aimée ? Parent ? On ne le saura pas, et peu importe, au fond. Elle, c’est cette présence qui se débat contre l’oubli, qui reste habiter dans la tête et dans le corps de l’autre. On la ressent dans un craquement familier, dans une note éparse sur le bord du déséquilibre, dans un drone à l’odeur de tourbe. Les notes de piano respirent à la fois doucement et nerveusement, aux recoins d’une pièce étroite. Il y a aussi une contrebasse, des field recording et le travail de l’électronique. Le tout flotte dans des tonalités graves et sombres. Ensemble, ils murmurent de l’inachevé, des ombres fantômes, des questions avortées, une tristesse ravalée, et une inquiétude transperçant l’album du début à la fin et venant lui donner son nom.
Le rythme est lent, très lent parfois – exception faite de Narrow et de ses impulsions de guitare oppressées, et laisse la place au silence, et à l’attente. Une attente de ce qui pourrait surgir, de ce qui pourrait advenir. De l’extérieur d’abord, et de soi ensuite. Car cet album est aussi et surtout un album qui affûte une conscience intime de sa propre intranquillité. Dialogue & Passing Judgement s’incarne dans un souffle hanté, une forte présence des manipulations électroniques, le balancement régulier du piano, des grondements, des grésillements. L’album finit avec son morceau éponyme, pour un final poignant de retenue, où le cœur se serre dans les intervalles de silence.
Offrir à cet album tout l’espace de calme, de temps et d’écoute attentive qu’il requiert, c’est prendre le risque de se retrouver face au besoin de le réécouter encore et encore, à plus haut volume, pour en sonder la richesse des textures. C’est aussi prendre le risque de retrouver une certaine nécessité du silence.