En Août dernier une nouvelle cassette d’opale, Body Issues, venait s’ajouter à la collection déjà bien fournie du label de Teesside. Un artwork intrigant, un moniker sibyllin et comme le veut la tradition, une absence totale d’information sur son auteur. Autant d’indices qui attestent de la provenance de l’objet, pas de doute, il s’agit bien d’Opal Tapes. Le label de Bishop, à défaut de jouir de la sagesse de l’âge, témoigne d’une fougue juvénile intarissable – pas moins de 44 releases en deux ans d’existence –. Soutenu par une ligne artistique reconnaissable entre mille, le label enchaine les titres et squatte régulièrement le haut des charts du meilleur label depuis sa création. N’ayant pas vraiment eu l’occasion d’en parler auparavant, nous n’en étions pas moins à l’affut de chaque nouvelle sortie. La démarche d’Opal Tapes, label défricheur au catalogue large comme le Texas, s’inscrit dans la pure tradition anglaise, vous savez, celle de se foutre allègrement du genre en l’occurrence celle de faire se côtoyer des génies de l’Ambient, de l’Abstraction kaléidoscopique – 1991, Wanda Group, COIN –, des crânes fêlés de l’Indus Techno – Bleaching Agent, Shapednoise ou plus récemment Dreamweapon – et des sound designers adeptes du cross over Electronica / Deep House / Acid House – Basic House, IVVVO, Ñaka Ñaka, etc. Trêve de name dropping, celui qui nous intéresse aujourd’hui appartient à cette dernière catégorie et répond au doux nom de Patricia.
Vous allez sans doute me demander l’intérêt qu’il peut bien y avoir à chroniquer une sortie qui date d’Août dernier alors qu’il y a eu bon nombre de sorties depuis sur ce même label et qui plus est de bonne qualité. C’est précisément là que ça devient intéressant – notamment pour nos amis tripoteurs de vinyles – puisqu’il y a un peu plus de deux semaines de cela, le label annonçait la naissance de sa sous-division dédiée aux sorties vinyle nommée Black Opal, l’occasion en outre de célébrer sa première sortie, le fameux Body Issues évoqué plus haut. Ajoutons à cela que la sortie en question est une petite extase cosmogonique à elle seule décidément l’occasion était vraiment trop belle pour ne pas en profiter pour l’ouvrir, en grand.
Il est vrai qu’on ne sait rien du producteur du mini LP en question, néanmoins, peut-on imaginer quelque chose de plus profondément intime que de livrer une sortie nommée Body Issues ? Non, vraiment, l’écoute de l’album est une expérience quasi charnelle. Mais penchons-nous de plus près sur son contenu, voulez-vous ?
« J’ai la clope contemplative quand mes volutes s’égarent entre tes dunes »
Patricia c’est avant tout un son nu, des kicks et claps lourds, ronds toujours talonnés d’une reverb lointaine et d’un sifflement – le fameux « hiss » très caractéristique des bandes magnétiques de l’enregistrement original –, d’un souffle continu finalement assez chaleureux. Tous ces éléments participent à l’atmosphère manifestement sensuelle voire charnelle de l’album. Le grain, grain de beauté, frissons, soubresauts d’une nuque dénudée – cf. Hissy Fit –, la moiteur ambiante, le plissé des draps, l’inconstance de la jouissance contenue – cf. Melting et son 303 fixé à l’endorphine –, nous retrouvons tout au long de ces 6 tracks une densité, une tension libidinale palpable. Il y est aussi question de mémoire sensorielle, l’étourdissement, l’ivresse de l’ébat, des scènes de liesse pure – cf. Josephine, chef d’œuvre d’Acid House placentaire –, scènes dans lesquelles les protagonistes se métamorphosent lentement en suncorders repus de phosphènes – cf. Waiting For Alexis – à quatre doigts de l’évanouissement.
« Vérifiez l’horreur du double que nous sommes tous, que nous n’aimons pas », Arm
Malgré ces premières impressions, le fil des écoutes s’étirant, les problématiques corporelles suggérées par le titre se découvrent. Effectivement, après les pleines cuillerées de miel, place à l’anxiété, la dissonance boulimique, le dégout, le refus de soi. Il s’exprime, entre autres, dans les tonalités mineures des nappes Ambient qui flottent sur l’ensemble du LP – cf. Four Fingered et Plural en particulier – et lui confèrent sa profondeur, ces demi-teintes bleutées, sorte de camaïeux très Deep House.
Aussi bien dans sa construction que dans ce que peut évoquer son écoute, tout ici est question de dualité non acceptée, de tiraillements internes entre pulsions, volupté et refus de l’autre moi, ce connard narquois de l’autre côté du miroir. Côté production, cela se traduit par une aisance somme toute assez déconcertante à concilier des drumkits et basslines Rolland très raw – 808, 909 et 303 – et des nappes aimablement hantées, doucement torturées. C’est en cela précisément que réside la force de ce mini LP. Difficile d’imaginer d’ailleurs qu’il ne s’agit que de la première sortie de Patricia tant cette dernière témoigne d’une maturité hors du commun. Une fois de plus, Stephen Bishop vise juste et inscrit Black Opal tout comme son aïeul auparavant, en plein coeur de la cible, en plein coeur de la tourmente.