Née à Shangai, la musicienne Pan Daijing écume aujourd’hui la scène noise/expé occidentale précédée d’une réputation live fiévreuse. Dressée comme une des sensations de l’année par la « communauté » des Berlin Atonal Suckers, son format court paru chez le dénicheur de talents emirati Bedouin Records avait déjà posé des bases se situant bien au dessus des promesses potentielles. Son premier album, Lack, sorti au mois de juillet, offre à la maison PAN de Bill Kouligas un retour de hype inespéré. Le label berlinois étant le parfait exemple de crémeries érigées en temple du cool en 2014, et vouée aux gémonies de l’errance et de l’opportunisme trois ans plus tard.
La scène noise/expé se situe actuellement dans une période d’émulation qui n’a, si on y réfléchit bien, pas grand chose de surprenant. La société créant son lot de fureur, les dignes repentis du clubbing, les beauzarteux en rébellion et les metalleux fragiles rejoignent la cohorte des apôtres de la violence légitime.
Cette vague de conversion en masse a néanmoins pour conséquence d’uniformiser la production, et de déchaîner les passions seulement dans les oripeaux de l’éphémère. Oui, osons le dire, les récents convertis, surtout ceux issus de la culture club, ont importé leur culte du buzz, du « game » et de la profusion, sur une scène où ils n’ont pas enlevé leurs sneakers en entrant. Certains disques sortent donc surtout telles des cartes de visite bien enluminées pour pouvoir tourner. On ne reprochera pas aux artistes de vouloir récolter en live les deniers que leurs disques ne leur rapportent pas, on pourra cependant regretter un nivellement de la stricte production phonographique vers le bas. Il paraît que le « game » est à ce prix. C’est un community manager qui me l’a dit…
Si on pourra reprocher à Lack de (même sans le vouloir) profiter de ce système, son côté carte de visite et ses faméliques incohérences, il convient néanmoins de reconnaître ses incontestables qualités.
Trop souvent reliée à son identité sexuelle par la presse et son public, Pan Daijing revendique à mon sens la maternité d’un langage cathartique et bruitiste qui dépasse allégrement les frontières de son entre-jambes. Il serait injuste de la cantonner aux sophismes de la classique thérapie par le bruit, mais plutôt d’envisager sa stricte volonté à communiquer musicalement avec autrui dans une relative sauvagerie. Dans une langue étrangère qui est juste la sienne, et où elle joue sa vie.
Même si les symphonies de synthèses modulaires n’ont aujourd’hui plus rien d’originalement spectaculaire, la chinoise impressionne dans sa troublante maîtrise du hardware. Les telluriques Act Of The Empress et Eat, ou même le splendide, plus « calme » et dronesque Lucid Moro de fermeture, sont des symboles d’excellence. Même si déjà explorés par Pharmakon ou Puce Mary, au rayon des liens entre cul et oralité, agonie mortifère et orgasme débridé, la chinoise s’en tire avec plus que les honneurs sur le terrifiant Practice Of Hygiene.
On regrettera cependant que la démarche de mêler ses expérimentations aux mélopées vocales d’une cantatrice ne soient pas poussées plus largement, Phenomenon et Plate of Order étant de très bonne facture et connectant le disque à la dimension performative que l’artiste chinoise commet en live. Mais plus encore, on regrettera que soient posés des titres strictement démonstratifs tels que The Nerve Meter et A Situation of Meat, où l’on comprend immédiatement un principe qui ne mérite pas d’être étiré dans le néant, et qui résonne comme ce que l’onanisme modulaire et expérimental a enfanté de plus chiant.
Lack est donc une très belle et très clinquante carte de visite, qui sans nul doute imposera Pan Daijing comme une des artistes à voir en live dans les années à venir. Il convient d’être intransigeant face aux promesses de pareil talent. L’excellence discographie attendra. Le moins possible on l’espère.